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La Lettre n° 64 | Échos de la recherche
Miriam Teschl, élue maître de conférences par l’assemblée en juin 2013

L’identité, préférences et bien-être : Approches conceptuelles

par Miriam Teschl, élue maîtresse de conférences par l’assemblée en juin 2013

La notion d’identité en économie se confond avec les préférences de l’agent. L’agent est ce qu’il choisit, classe, préfère. En l’absence de cette identité, l’analyse économique se retrouve démunie de son critère le plus important pour porter un jugement sur la meilleure manière d’allouer les ressources. Mon projet de recherches vise à englober cette notion d’identité dans une conception plus large sur laquelle pourrait s’appuyer des analyses normatives qui présenteraient dès lors un domaine de validité moins étroit.

Le concept de préférence est central en microéconomie et trois hypothèses lui sont traditionnellement associées : les préférences sont données (la formation des préférences est un sujet pour les autres sciences sociales que l’économie); les préférences sont stables (si elles ne l’étaient pas, les prédictions et les évaluations de bien-être ne seraient pas possibles); et les agents agissent de manière cohérente (on ne doit pas pouvoir mettre l’agent en contradiction avec lui-même, d’une façon directe ou indirecte). Ainsi définie, l’identité de l’agent est, d’un point de vue philosophique, particulièrement simple. L’ordre de préférence est un critère d’identité numériquement et qualitativement invariable dans le temps et dans différents contextes. L’agent économique ne change pas; seul son comportement s’adapte lorsque les contraintes changent.

Ces hypothèses ont été contestées. D’abord, les individus changent au cours de leur vie, en fonction des situations et des contextes rencontrés, de leur interaction avec les autres qui changent eux aussi. Ensuite une seconde critique, avancée par Amartya Sen, considère que juger de la cohérence des choix, de leur « rationalité », sans faire appel à des « référents externes » aux choix eux-mêmes, c’est-à-dire sans savoir au préalable ce qui motive les agents, n’a pas de sens. L’agent peut agir de manière incohérente au regard de la rationalité économique, alors que son comportement est tout à fait cohérent une fois sa ou ses motivations connues. Une troisième critique, liée à la seconde, porte sur la possibilité de former un ordre de préférence « toutes choses ayant été considérées » lorsque les motivations sont diverses et multiples. Nous avons montré en effet qu’un comportement apparemment incohérent peut être rationnel quand l’individu fait face à un conflit interne de motivations, c’est-à-dire lorsque son comportement est incompatible avec au moins une de ses motivations. Si l’on accepte ces trois critiques, l’unicité et la stabilité de l’ordre de préférence ainsi que l’existence d’axiomes « universels » qui s’appliqueraient dans toutes les situations sont remises en question.

L’enjeu est alors de savoir « ce qui compte » pour l’identité pour pouvoir affirmer que la personne est la même. Pour Derek Parfit, ce qui compte, c’est la survie, la “connexité psychologique” de la personne. Dans mon projet de recherche, je me propose d’appliquer ce concept philosophique de connexité aux problématiques des référents externes et des conflits internes. Si ce qui est rationnel dépend d’éléments externes aux choix, alors ce qui reste en suspens, c’est de comprendre le lien entre différentes rationalités dépendantes du contexte dans lequel se réalisent les choix. A mon sens, c’est l’identité, prise au sens de la « connexité », qui peut fournir ce lien, la multiplicité des rationalités ne conduisant pas forcément à la dissolution de l’individu. Il s’agit alors de définir des hypothèses qui sont à même de fixer un cadre dans lequel un agent autonome peut agir et changer en fonction du contexte tout en préservant son identité. Si l’agent satisfait des hypothèses minimales de continuité de l’identité dans différents contextes et à travers le temps, les comparaisons de bien-être devraient être possibles et ce, malgré les changements. Une fois les dynamiques individuelles de changement et leur interdépendance rendues possibles, de nouvelles dynamiques sociales pourront être explorées.