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La Lettre n° 50 | Échos de la recherche
Brigitte Marin, élue directrice d’études cumulante par l’assemblée des enseignants en juin 2011
Crédits : Université d'Aix-Marseille

Brigitte Marin, élue directrice d’études cumulante par l’assemblée des enseignants en juin 2011

Professeur d’histoire moderne à l’Université d’Aix-Marseille, je dirige actuellement la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme. De 2000 à 2006, j’ai occupé les fonctions de directrice des études pour l’histoire moderne et contemporaine à l’École française de Rome. En 2005, j’ai soutenu à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne une habilitation à diriger les recherches intitulée Pouvoirs, pratiques et savoirs urbains. Naples, Madrid (XVIe-XIXe siècle).

Sur la base d’une thèse de doctorat sur les réformes urbaines, à Naples, sous les Bourbons (1734-1799) et leurs enjeux politiques, sociaux et territoriaux, mes recherches se sont orientées, selon des mises en œuvre à la fois individuelles et collectives, vers l’étude des modalités de production de la ville, analysées prioritairement à travers les rapports entre institutions et territoires : les réformes urbaines (approvisionnements publics, constructions, politiques sanitaires, polices) et les dynamiques sociales qui les ont rendues possibles ; les différentes formes de gestion urbaine et de mobilisation des nouvelles élites – médecins, économistes, architectes – autour des enjeux de transformation urbaine et territoriale au XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle.

Trois orientations de recherche principales ont marqué mes activités ces dix dernières années.

En premier lieu, une histoire des polices urbaines, autour du moment réformateur du XVIIIe siècle, conduite sur deux grandes capitales de l’Europe méridionale, Naples et Madrid. J’ai étudié les mécanismes du gouvernement urbain à travers les multiples configurations des pouvoirs de police (tribunaux royaux, polices municipales…) et leurs dynamiques politico-institutionnelles, mais aussi à travers les contenus pratiques de l’action des agents de l’ordre. La démarche s’inscrit pleinement dans une histoire urbaine par l’attention portée aux conséquences de la croissance des appareils de police sur l’espace, sur la géographie administrative, sur la formation de nouvelles territorialités, instruments de gouvernement des hommes, qui modifient pratiques sociales citadines et représentations de l’espace vécu.

J’ai pris part au programme de recherche « Les mots de la ville », coordonné par Christian Topalov et Jean-Charles Depaule. Observer le fait urbain et ses transformations à travers les usages lexicaux, dans une perspective pluridisciplinaire et de longue durée, a ouvert de nouvelles perspectives pour mieux comprendre les croisements, les emprunts, les adaptations, entre « langue administrante » et parlers communs, pour saisir des conceptions et des lectures de la ville distantes ou partagées, les conflits et les enjeux sociaux autour des usages et qualifications de l’espace. Les mots qui décrivent la ville, la découpent et la classifient, permettent d’explorer certaines modalités d’articulation des formes urbaines et de leurs représentations, qui ne relèvent pas exclusivement de la matérialité physique de la ville, mais aussi des institutions et de la façon dont elles sont utilisées par les groupes sociaux.

Enfin, le dialogue engagé avec les historiens de la ville en Italie m’a, dès mes premiers travaux de recherche et de façon continue par la suite, conduite à m’intéresser à l’iconographie et à la cartographie des villes à l’âge moderne. Plus récemment, j’ai orienté prioritairement mes recherches sur les grandes planimétries urbaines, sur les conditions et circonstances de leur production (modalités techniques, commanditaires, opérateurs), les liens qu’elles entretiennent avec les techniques de gestion et d’intervention urbaines, leurs finalités pratiques, les choix figuratifs qui rendent raison des façons variées de lire et de classer les espaces, la circulation des savoirs, des « modèles » et des expériences dans ce domaine à l’échelle européenne.

Le programme d’enseignement et de recherche que j’ai proposé à l’EHESS, sous l’intitulé Administrations, régulations et savoirs urbains. Europe méridionale – Méditerranée, XVIIIe-XIXe siècles, vise à prolonger et développer ces réflexions sur quelques questions qui articulent l’histoire des institutions, des formations sociales qui les animent, des dispositifs et des techniques d’encadrement des populations et des territoires urbains. Elle s’intéresse en particulier à la production et la circulation d’un ensemble de savoirs sur la ville (pré-statistiques, topographiques, historiques, cartographiques…), progressivement élaborés et/ou accumulés au sein des administrations, qui contribuent à forger visions et lectures de la ville, qui s’instituent en instruments partagés d’intervention sur (et dans) la cité et qui, à des degrés divers, se trouvent réappropriés par de multiples usages au sein des sociétés urbaines.

Trois axes structurent ce projet (magistratures de régulation urbaine, formes de l’expertise et « fabrique ordinaire » de la ville ; police quotidienne, pratiques de contrôle et configurations territoriales ; les lieux de la ville entre mémoires, savoirs et usages), à partir d’un ancrage commun : la recherche des liens, des interactions, des croisements entre, d’une part, les compétences politico-administratives et les pratiques de gestion urbaine, qui connaissent d’importantes redéfinitions au cours des XVIIIe et XIX<e siècles et, d’autre part, la construction et l’organisation des territoires, à partir des usages sociaux et des pratiques savantes.

Les terrains d’étude sont prioritairement les grandes villes de l’Europe du Sud, avec une ouverture sur d’autres villes du bassin méditerranéen. La recherche prend appui sur une analyse de la ville du XVIIIe siècle, moment marqué par l’émergence de la « question urbaine » en Europe, et par la mobilisation des administrateurs et des savants (économistes, architectes, ingénieurs, médecins, philosophes, utopistes) dans la définition d’une nouvelle conception de la ville et de profondes réformes urbaines, comme l’a naguères montré Jean-Claude Perrot. Elle se prolonge jusque dans les premières décennies du XIXe siècle, afin de saisir les transformations des pouvoirs urbains, des modalités de gestion urbaine et de leurs outils.