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La Lettre n° 50 | Dans les centres et les services | Départs à la retraite
Marie-Laurence Netter
par Christophe Prochasson

Marie-Laurence Netter

Marie-Laurence Netter est arrivée à l’ École au début des années 1970 comme assistante de recherches au moment où les grandes enquêtes collectives n’étaient pas encore tout à fait passées de mode. Historienne de la Révolution française à laquelle elle avait consacré son mémoire de maîtrise, Marie-Laurence Netter fut de cette équipe de chercheurs qui œuvrèrent avec discrétion et modestie à l’édification d’entreprises communes. Au Centre de recherches historiques où se déroula toute sa carrière, Marie-Laurence Netter contribua aux grandes enquêtes sur l’alphabétisation des Français (publiée sous la direction de François Furet et Jacques Ozouf en 1977 aux éditions de minuit avec pour titre Lire et écrire. L’alphabétisation des Français de Calvin à Jules Ferry) et, sous la direction de François Furet, à celle vouée à l’étude de la politisation de la France depuis 1850 intitulée Rouges et bleus.

Les travaux de recherche de Marie-Laurence Netter ne se limitèrent pas cependant à la contribution qu’elle apporta à ces enquêtes mémorables. Elle développa parallèlement une œuvre personnelle. En 1980, à l’Université de Paris 1, elle soutint une thèse de troisième cycle consacrée à l’alphabétisation et à la scolarisation dans l’Yonne et la Haute-Garonne sur une longue période allant de la fin du XVIIe siècle à 1833. Elle est aussi l’auteure d’un ouvrage hélas toujours inédit sur Auguste Blanqui. En 1989, elle publia un ouvrage d’entretiens au titre un brin provocateur pour une ancienne collaboratrice de François Furet : La Révolution française n’est pas terminée ! Interviewant plusieurs figures de la classe politique française, elle y mettait en évidence la mémoire encore active de la Révolution, alimentant clivages et identités idéologiques. Enfin, en 1996, elle publia en collaboration un important ouvrage en langue anglaise sur le théâtre et l’opéra sous la Révolution.

Marie-Laurence a aussi d’autres cordes à son arc ! Au début des années 1980, elle se comptait parmi les fidèles du séminaire de Jacques Julliard où je l’ai rencontrée. Avec d’autres collègues, bientôt devenus autant d’amis, Anne Rasmussen, Willy Gianinazzi, Michel Prat, Patrice Rolland et quelques autres, se constitua avec elle et sous le patronage bienveillant de Jacques Julliard un petit groupe de chercheurs, aux styles et aux idées variés mais partageant tous le même intérêt pour le philosophe Georges Sorel et, au-delà, pour l’histoire intellectuelle de l’époque contemporaine. Marie-Laurence Netter fut précocement de ce petit noyau en participant au premier grand colloque international consacré à Sorel et qui s’était tenu en 1982. De ce colloque naquit une petite revue annuelle dirigée par Jacques Julliard, les Cahiers Georges Sorel.

Les Cahiers Georges Sorel prospérèrent et prirent le nom de Mil Neuf Cent. Revue d’histoire intellectuelle en 1989, l’année de toutes les révolutions… Sans Marie-Laurence Netter, ce périodique qui fait aujourd’hui référence n’aurait pas connu un tel développement. Une revue scientifique de ce type ne vit pas sans le dévouement désintéressé de quelques individus. Willy Ginainazzi et Marie-Laurence Netter ont toujours su dégager pour Mil Neuf Cent des trésors d’énergie et de générosité. La revue célèbre cette année son trentième anniversaire.

La meilleure recherche se fait aussi de l’accumulation de ces mille petits engagements collectifs, parfois invisibles à l’œil nu. Marie-Laurence Netter a su concilier le déploiement d’une œuvre personnelle, faite d’ouvrages et d’articles, et une disponibilité pour autrui, un sens du travail d’équipe auxquels je me réjouis de rendre hommage à l’occasion de ce (faux) départ. Marie-Laurence fait semblant de partir en retraite. Si elle le faisait vraiment, nous, ses vieux amis, l’accuserions d’abandon. Nous en serions furieux. Or Marie-Laurence a le sens de l’amitié.