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La Lettre n° 46 | Présentation
Codex Borbonicus
par Pierre-Antoine Fabre

Journées romaines

La formation « Objets des antipodes » s’est déroulée sur quatre jours, dont une matinée dans les musées d’ethnographie et de préhistoire de l’EUR. Elle a compté avec la participation de neuf collègues, dont le directeur italien du Musée d’histoire naturelle de Florence et huit enseignants et enseignants chercheurs français, historiens et anthropologues, dont quatre collègues de l’EHESS, Brigitte Derlon, Daniel Fabre, Benoit de l’Estoile, et Pierre Antoine Fabre, co-responsable de cette formation avec Jean-François Chauvard, directeur des études d’histoire moderne et contemporaine à l’EFR ; et de treize masterants et doctorants, dont un étudiant italien et huit français et étrangers en cours de doctorat en France, dont une moitié de l’École ou du PRES Hesam. Elle a bénéficié de plus de la participation active de plusieurs membres de l’École française et autres chercheurs, ce dont il faut se féliciter.

 

On ne saurait ici résumer en peu de lignes la richesse de ces échanges. Retenons cependant tout ce qui a été donné à comprendre de la vie des objets : leur circulation, les métamorphoses de leur interprétation, leur résistance, condition de ces métamorphoses, qu’il s’agisse des objets issus des collections ethnographiques revisités dans les nouveaux contextes des revendications socio-ethniques contemporaines (jouant d’un jeu complexe avec l’ « héritage colonial »), ou qu’il s’agisse des « restes  humains », reliques chrétiennes ou anciens trophées guerriers (ces deux catégories n’étant pas hermétiquement séparables dans leur signification). Retenons également tout ce que nous avons appris de la « neutralisation » esthétique des objets rituels (passant parfois par la construction d’une coupure entre une culture « savante » et une culture « populaire »), non pas seulement dans des situations très contemporaines comme celle de la gestation du projet Branly (qui a donné lieu à des exposés originaux et à des débats très vifs), mais aussi dans les contextes plus anciens du désenchantement de ces objets rituels aux fins d’autres appropriations, en particulier dans le cadre des grands récits de l’histoire des religions de la fin du XIXe siècle. Signalons enfin de passionnants échanges, qui auraient pu se poursuivre et se poursuivront bien au-delà de ces rencontres, sur le rapport du « colonial » et de l’ « impérial » : les missions d’évangélisation, dans leur autonomie relative par rapport à la domination politique et militaire, relèvent-elles d’une logique territoriale coloniale ou d’une logique culturelle impériale ? Ces deux logiques, l’une et l’autre socio-économiques dans leurs effets, ne représentent-elles pas deux manières d’interroger les mêmes phénomènes ? Et ne permettent-elles pas de discerner au sein des mêmes moments historiques entre des relations diversifiées aux espaces, aux populations, et aux objets eux-mêmes, qui revenaient sans cesse comme le lieu et le défi ultimes de l’interprétation ?

 

Retenons, au-delà de ces problèmes, trois aspects essentiels de ces Journées, qui nous semblent très encourageants pour des formations à venir.

 

- Le haut niveau de la sélection, rendu possible par un nombre important de dossiers reçus (une quarantaine), a permis non seulement des présentations de travaux d’une très bonne qualité globale mais aussi, et c’est le plus important, un régime d’interventions et d’échanges très intensif lors des discussions très approfondies qui ont suivi ces présentations et les Leçons de nos collègues.  La prise de parole a été rapide, constante, et d’un niveau d’exigence constamment soutenu. Ceci a rendu la formation certainement très profitable pour les doctorants, mais elle a aussi sollicité d’autant les formateurs, qui ont été tous présents pour l’essentiel des séances (ce dont il faut leur être spécialement reconnaissants) et se sont très fortement engagés dans les débats. Aussi une communauté a-t-elle pu véritablement se constituer entre les étudiants, entre les étudiants et les formateurs, entre les formateurs eux-mêmes qui n’étaient pas tous des familiers.

 

- Le champ thématique choisi a permis tout à la fois l’exposé de travaux précis, pour les uns comme pour les autres, souvent liés à des terrains, à des enquêtes, et appuyés le plus souvent sur une documentation visuelle importante. Les Leçons ont su adopter une manière très analytique, à l’inverse d’un style conférencier, et donner ainsi beaucoup de prises à la compréhension des participants, même lors que ceux-ci n’étaient pas a priori familiers des lieux, des figures ou des objets considérés. Ce champ thématique a tout à la fois multiplié des cas extrêmement divers et construit progressivement une unité réelle de questions et de problèmes. Il a en outre favorisé l’expression contrastée des méthodologies disciplinaires (entre histoire, anthropologie et droit spécialement), ce qui était, là aussi, assurément suggestif pour des jeunes chercheurs. Il a enfin favorisé la connexion entre des travaux savants et des dossiers politiques et culturels d’une actualité vive (concernant par exemple la muséographie des arts primitifs ou le problème, dont plusieurs exposés ont permis de mesurer la complexité, de la restitution réparatrice des œuvres).

 

- Il faut enfin souligner le caractère très favorable de la réunion continue dans le seul lieu de la Résidence de la Piazza Navona, en particulier pour les déjeuners, dont la forme « Buffet » est propice aux échanges libres, aussi bien qu’à une certaine souplesse des horaires (elle a permis en particulier de réduire le temps des déjeuners en fonction de la richesse souvent remarquable des débats, prolongés au-delà des temps prévus). Remercions ici Claire Chelléat pour son dévouement lors de cette session.

 

En conclusion, on peut tirer un bilan positif de la conception de ces journées, dans l’organisation des travaux et dans la répartition en nombre des spécialistes confirmés et des doctorants, qui a permis de multiplier les approches et les promesses de liens poursuivis. Il est très probable en effet qu’une session comme celle-ci, outre ses apports immédiats, laissera des traces, non seulement pour l’acheminement des travaux en cours pour ces doctorants mais aussi pour leurs collaborations à venir dans leur futur milieu professionnel. Pour parvenir à ce résultat, il faut veiller tout particulièrement :

- à l’ouverture mais aussi aux fortes lignes directrices du champ thématique choisi ;

- à la diversité des disciplines engagées ;

- à la variété des institutions impliquées, non sans privilégier la coopération entre les deux Écoles, qui, en particulier du point de vue des échanges disciplinaires et des rapports entre périodes historiques différentes, pouvait aider à créer d’emblée un « milieu » scientifique favorable à l’approfondissement de ces échanges ; mais il est important (et pour les deux Écoles elles-mêmes) que ces formations favorisent le dialogue entre des institutions différentes

- à la qualité des dossiers retenus, qui a été décisive dans la dynamique de la rencontre : il est essentiel pour cela de lancer l’appel d’offres très en amont et dans une large ouverture, pour mobilise au bout du compte les meilleurs travaux, au sein même de l’EHESS comme en dehors d’elle.

- il était enfin très heureux que la thématique choisie permette de varier les travaux en organisant une visite des musées de l’EUR (méconnus en outre). Le choix thématique doit prendre en compte la possibilité d’exploiter des ressources romaines, ce qui semble à tous égards un trait positif.

 

En tant que co-responsable de ces rencontres, j’attire spécialement l’attention de nos collègues sur ces différents aspects et les incite à des propositions pour les sessions à venir. Elles seront accueillies avec gratitude, par l’École française de Rome, soucieuse de notre coopération, comme par nous-mêmes évidemment.

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