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La Lettre n° 33 | Présentation
Dreaming
Tjukurrpa (Dreaming)
Crédits : L. Dousset - 2008
par Le Collectif du CREDO

Le Centre de recherche et de documentation sur l’Océanie (CREDO)

Le Centre de recherche et de documentation sur l’Océanie (CREDO) est le seul laboratoire en France entièrement spécialisé sur l’Océanie, dans le domaine des sciences humaines et sociales (SHS). Le domaine de recherche porte sur les évolutions contemporaines et historiques de toutes les sociétés de ce continent (Australie, Mélanésie, Micronésie, Polynésie, selon les étiquettes régionales habituelles). Les recherches du CREDO portent sur une région dont la diversité sociale, culturelle et historique a joué un rôle considérable dans le développement des SHS. Elles sont à dominante anthropologique, mais articulent également les apports de l'archéologie, de l'histoire, de la linguistique, des sciences politiques, de la muséologie et des sciences de l’information technologique. Ce laboratoire est également le premier centre documentaire français sur cette région du monde. Enfin le CREDO a pour règle que chacun de ses membres, y compris les chercheurs CNRS, participe à la formation des étudiants.

Les missions du laboratoire 

La première est la recherche et l’encadrement de recherches sur les processus socio-culturels, contemporains et historiques, dans les sociétés de l’Océanie. Sur les quatre dernières années, plus de deux cents publications ont vu le jour, dont vingt-deux ouvrages, ainsi qu’une centaine de communications et autres actions de valorisation.
La seconde est l’enseignement et l’encadrement d’étudiants à tous niveaux qui travaillent sur la région.  L’EHESS joue évidemment un rôle crucial : aujourd’hui dix-sept étudiants sont suivis en thèse, dont onze à l’EHESS et six à l’université de Provence (UP) et douze en master, dont sept à l’EHESS et cinq à l’UP.
La troisième concerne l’acquisition et la mise à disposition de ressources documentaires sur le Pacifique. Le fonds documentaire Océanie constitue le support clé des activités de recherche et d’enseignement du CREDO. C’est le seul fonds français spécialisé sur cette aire culturelle et l’un des tous premiers au niveau européen. Il totalise plus de huit mille documents répartis entre cinq divisions géographiques et « culturelles » : Mélanésie (31,5%), Polynésie (25,4%), Pacifique général (16,1%), Australie (10,6%), Micronésie (6%). Les références sont en anglais pour 90% des documents, puis en français, allemand et autres langues. Enfin le fonds dispose d’une collection d’ouvrages en langues vernaculaires.
Une quatrième mission a émergé pendant le dernier quadriennal. Il s’agit de la création d’archives numériques et du développement d’outils qui permettent l’exploitation de ces ressources (voir ci-dessous : « Diffusion électronique »).

Quelques actions récentes

Le CREDO coordonne la création et la construction d'un centre culturel au Vanuatu, sur l'île de Tanna.

De gauche à droite : Jean-François Marini, conseiller de Coopération à l’ambassade de France du Vanuatu, Marcellin Abong, directeur du Centre culturel national du Vanuatu, Pierre Mayaudon, Ambassadeur de France, Marc Tabani.

(C. Tabani - 2008)

Ce centre est destiné :
- à étudier, à préserver et à promouvoir des cultures, langues et coutumes de la société tannaise ;
- à fédérer les forces vives en matière culturelle et artistique des autres îles de la province de TAFEA (Tanna, Aneytum, Futuna, Erromango, Aniwa) ;
- à développer les échanges culturels avec les îles du centre et du nord de Vanuatu et avec la Nouvelle-Calédonie et les îles Loyautés. Il comprendra : une médiathèque numérique et une bibliothèque, un musée et un espace d’expositions, un centre de conférence, une salle de spectacle et de projection.

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Les Chefs Nikoletan devant l'ancien bâtiment.

(C. Tabani - 2006)

Le CREDO coordonne la collecte et la mise à disposition (avec traductions) pour les communautés du Pacifique de documents qui concernent leur histoire, mais qui leur étaient inaccessibles (fonds spécialisés, absence de traduction vers une langue courante dans la communauté).

Image4Les textes français du premier débarquement d’Européens à Samoa (expédition de Lapérouse) ont été rassemblés, traduits, reliés (sur l’image : le volume à reliure bleu) et donnés aux archives nationales, à l’université de Samoa et au chef de l’État (ici au centre de l’image ; à droite : son épouse Masiofo Filia, la Consul de France Zita Martell, Sueina Lokeni ; à gauche : Serge Tcherkézoff et Misa Telefoni Retzlaff, Deputy Prime Minister).

(S. Lokeni - 2008)

En 2011, une opération semblable est prévue pour les manuscrits anglais concernant Tahiti, en collaboration avec la Nouvelle-Zélande (équipe du Prof. Dame Anne Salmond).

Thèmes de recherches 

Le Pacifique-sud hier et aujourd’hui : historiographie critique et constructions politico-religieuses

Il s’agit d’analyser les transformations culturelles, économiques, politiques et religieuses qui ont défini ou qui construisent les sociétés du Pacifique et leurs représentations identitaires (études de terrain en cours en Australie, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Salomon, Vanuatu, Fidji, Nouvelle-Zélande, Wallis-et-Futuna, Samoa, Tonga, Polynésie Française, Kiribati). Ces recherches impliquent la mise en œuvre d’une historiographie critique du Pacifique, ainsi que l’étude des enjeux de l’appropriation de cette historiographie par les sociétés locales, dans leurs projets de construction nationale. Plusieurs aspects sont développés : les conditions de fabrication d’une aire culturelle appelée « Pacifique » dont il convient d’interroger les cohérences ; la question des sources utilisées par les sciences sociales lorsqu’elles cherchent à décrypter le passé ; enfin certains aspects de « l’européanisation du monde », en s’intéressant aux « premiers contacts », puis à la colonisation et à l’ère post-coloniale.

Systèmes locaux de savoir : personne, environnements, rituels, objets

Il s’agit d’analyser les définitions de la personne, les logiques rituelles, et les systèmes cognitifs. Les recherches sur l’anthropologie de la personne interrogent les définitions emic de cette notion, de même que celles d’individu, de sujet ou encore de «membre» d’un groupement sociologique. La personne a longtemps été considérée comme un composé d’éléments (le sang, les os, l’esprit, le souffle, etc.). Ces études ont été suivies de recherches dans la temporalité des vies (conception, naissance, enfance, initiation, mariage, vieillesse, mort).

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Chez les Ankave-Anga, l’enfant, à partir de dix-huit mois, passe beaucoup de temps sur les épaules de sa mère, d’une tante ou d’une sœur plus agée.

P. Lemonnier – 1990

Il est nécessaire d’associer à ces constats «substantiels» et «chronologiques», les aspects «relationnels» et « existentiels » en tant que constituants de la personne. Ces recherches permettent d’apporter un éclairage nouveau aux dossiers de la parenté et du genre, de la sexualité et des émotions. L’anthropologie du rituel tient une place centrale dans les recherches en SHS portant sur l’Océanie. Au sein des analyses de rituels, dans les débats récents autour de l’anthropologie cognitive, les rituels dits « mélanésiens » sont parmi ceux qui interrogent le rôle des émotions dans la transmission ainsi que les spécificités de l’action rituelle. Parce qu’ils font l’objet de récits, il est possible de confronter ce qu’on en dit et ce que l’on peut observer lors de leur réalisation, ce qui pose la question à la fois des découpages vernaculaires de l’action rituelle de la mémoire et de la verbalisation impliquées dans leur déroulement.
L’étude des organisations cognitives socioculturelles se fait autour des notions de filiation, transmission, reproduction et apprentissage : les aspects à la fois locaux et universels des systèmes de savoirs indigènes, y compris ceux qui intègrent environnement naturel et contexte sociopolitique. C’est une anthropologie des techniques, de l’esthétique et de la biodiversité. Derrière l’hétérogénéité apparente, il s’agit de l’étude comparée des manières dont des productions culturelles mêlent des éléments matériels à l’articulation connaissance-mémoire-action, en dépassant les découpages classiques qui distinguent les techniques, l’esthétique et les ethno-sciences.

Stockage, analyse et restitution des données

Le troisième pôle d’activité inclut d’une part des productions et des enseignements concernant l’anthropologie hypermédia et d’autre part une réflexion pour la constitution d’outils au service des autres thèmes. La mobilisation de l’image fixe et animée, la prise en compte des profonds bouleversements apportés par les nouvelles technologies de l’information et de la communication, le développement et l’utilisation de puissants outils informatiques qui autorisent la production d’applications hypermédias sophistiquées et la structuration de systèmes d’information, y compris l’archivage numérique des notes et illustrations de terrain, s’avèrent une des spécificités du CREDO. Ce troisième axe inclut un développement particulier : la diffusion électronique.

Diffusion électronique

Parmi les plateformes de diffusion nous comptons les sites web « simples » qui n’intègrent pas d’outils d’analyse ou de traitement particuliers et les systèmes complexes. Le site du CREDO a connu une refonte considérable depuis début 2007, intégrant des informations sur tous les domaines d’activités du laboratoire : personnel, axes de recherches, programmes et projets, documentation, enseignement etc. La fréquentation du site a dès lors considérablement évolué, passant de 5 000 visiteurs uniques par mois en décembre 2006 à 50 000 en décembre 2009. Ce qui est remarquable est que, en décembre 2009, les visiteurs consultent en moyenne six pages par visite. Le site web AusAnthrop, développé par Laurent Dousset avant même son entrée au CREDO, est devenu l’un des deux sites les plus visités sur les sociétés australiennes, avec plus de 60 000 visiteurs par mois. Il figure dans le catalogue de la Bibliothèque nationale australienne comme source officielle. Avec plus de 5 000 pages, son ambition est d’être un lieu de ressources et de discussion concernant les Aborigènes d’Australie.
Parmi les bases de données en construction, nous citerons la Base de restitution pour le Centre culturel de Tanna, Vanuatu organisée par Marc Tabani. Cette Base accompagne la construction et mise en place d’un Centre culturel sur l’île de Tanna, pour lequel le CREDO joue un rôle majeur. Elle sera installée dans ce nouveau centre et permettra aux habitants de Tanna de consulter les documents, archives, photographie et la littérature anthropologique, historique et linguistique qui ont été produits au sujet de leur patrimoine (http://www.pacific-credo.fr/index.php?page=tafea-kaljoral-senta-tks&hl=fr). Une autre base de données, en cours d’élaboration également, concerne le domaine des « premiers contacts » entre les peuples du Pacifique et les Européens et comprend d’une part, une histoire de la vision cartographique européenne (voir déjà certains exemples sur la base ODSAS), d’autre part la mise à disposition de récits inédits, parfois jamais transcris, et leur traduction respectivement vers l’anglais ou le français, suivant la communauté concernée.

Les systèmes complexes

Le CREDO s’investit depuis 2007 de manière croissante dans la création de plateformes numériques au service de la recherche. Au contraire des plateformes de diffusion, ces plateformes sont des systèmes complexes intégrant des outils innovants. À l’image des plateformes de diffusion, elles stockent de l’information dans des bases de données et la rendent à l’utilisateur sous forme organisée, mais elles vont plus loin en ce qu’elles proposent des pistes, des pré-analyses et des compilations qui contribuent à l’évolution de la connaissance. On notera tout particulièrement deux plateformes dans ce domaine des systèmes complexes, développées par Laurent Dousset. ODSAS est un système de stockage, de manipulation et d’annotation collectif d’archives numériques pour les sciences humaines et sociales. Avec plus de 40 000 fichiers (textes, photographies, films, etc.), la plateforme accueille de nombreux documents uniques dont une partie importante provient des recherches des titulaires du CREDO. AustKin, la seconde plateforme, est un système de cartographie automatisé de morphologies et sémantiques linguistiques et de leurs transformations. Actuellement réservé aux membres des équipes qui en sont à l’origine (le CREDO et le département de linguistique à l’Australian National University), il est toutefois envisagé de rendre cet outil disponible à une communauté plus large à la fin du projet financé par l’Australie.

Image6Exemple simplifié du type de cartes générées, ici à partir des terminologies de parenté : les aires vertes montrent les langues dans lesquelles la cousine croisée peut être appelée « sœur » dans certains contextes (idem pour ego féminin). Les croix bleues montrent les langues où la cousine croisée du premier degré est aussi appelée « épouse » (idem pour ego féminin). Les cercles violets indiquent les langues où la cousine croisée du second degré est aussi appelée épouse (idem pour ego féminin). Les terminologies prises en compte sont ici celles en usage aujourd’hui.

Historique et Bilan du CREDO

Le CREDO a été établi à l’EHESS-Marseille comme UMR en 1995, par une opération conjointe du CNRS et de l’EHESS, sur la base d’un projet présenté par Pierre Lemonnier pour le CNRS et Serge Tcherkézoff pour l’EHESS. La direction du centre fut confiée dans un premier temps à Maurice Godelier, qui en donna délégation. Puis, de 1999 à 2007, le directeur en fut Serge Tcherkézoff (EHESS), suivi de Laurent Dousset (EHESS) depuis 2008. Les enseignements furent donnés d’emblée – et continuent aujourd’hui à être donnés – à l’EHESS-Marseille et à l’université de Provence.
Après deux ans d’existence, le CREDO comprenait sept enseignants-chercheurs et chercheurs (trois EHESS : Maurice Godelier, Pierre-Léonce Jordan, Serge Tcherkézoff ; quatre CNRS : Pascale Bonnemère, Jean-Michel Chazine, Pierre Lemonnier, Françoise Douaire-Marsaudon) et une collègue en charge de l’administration-gestion (EHESS : Anne Provansal). Douze doctorants étaient encadrés par le Centre et quatre d’entre eux bénéficiaient d’une allocation ministérielle de thèse. Le bilan de cette même année indiquait la publication, entre 1995 et 1997, pour les seuls titulaires, de sept ouvrages et de quarante-cinq articles. Le centre documentaire avait déjà acquis huit cents ouvrages et sept collections de revues.

En 1999, l’investissement dans l’enseignement à l’UP a donné lieu à un élargissement : l’UP est devenue également tutelle du CREDO et le laboratoire avec son centre documentaire a pu s’installer sur le campus Saint-Charles. En effet, l’exiguïté du centre documentaire de l’EHESS-Marseille ne permettait pas le développement nécessaire (la situation sera sans doute différente quand l’EHESS-Marseille sera dans ses nouveaux locaux de Marseille, dans quelques années). Le CREDO et l’IRSEA (Institut de recherche du sud-est asiatique) ont pu regrouper leurs activités de service (et en particulier les bibliothèques) dans une « Maison Asie-Pacifique » créée comme UMS, les deux laboratoires conservant leur statut d’UMR.

Quinze ans après sa création, en ce début 2010, le CREDO compte dix-huit membres : seize titulaires en activité, une émérite CNRS, Françoise Douaire-Marsaudon, et un retraité de  l’EHESS, Maurice Godelier, l’intensité de leurs publications justifiant de les inclure dans notre organigramme. Il compte également parmi ses membres des jeunes chercheurs associés qui participent aux activités du laboratoire (Ludovic Coupaye, Émilie Nolet, Maïa Ponsonnet et Monika Stern). Ce total comprend sept ITA-IATOS Véronique André (relations internationales, valorisation, financements), Arlette Apkarian (documentation), Émilie Courel (PAO, publications), Helena Meininger (traductions et relations avec l’Europe du nord), Anne Provansal (gestion) ainsi que Lorenzo Brutti et Jean-Michel Chazine (en retraite en 2010) qui font de la recherche à temps plein, cinq chercheurs CNRS (Pascale Bonnemère, Anne Di Piazza, Pierre Lemonnier, Simonne Pauwels, Marc Tabani), mais toujours seulement trois enseignants-chercheurs de l’EHESS en activité (Laurent Dousset, Pierre-Léonce Jordan, Serge Tcherkézoff, dont un seul peut diriger des thèses), et un seul maître de conférence à l’UP (Sandra Revolon). Le rééquilibrage du côté des enseignants-chercheurs est donc plus que nécessaire.