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La Lettre n° 45 | Présentation
Emanuele Conte
Crédits : Maria Conte

Emanuele Conte élu directeur d’études cumulant par l'assemblée des enseignants en juin 2011

Restituer au droit sa place au sein des sciences humaines et sociales ; souligner la fonction proprement historique jouée par les doctrines juridiques ; montrer que la réduction du droit à une technologie législative ou judiciaire masque ce que ce savoir dévoile des dynamiques des sociétés. Tel est le projet de cette direction d’études qui s’articule autour de trois axes principaux :


Le premier s’attache à la déconstruction de lieux communs de l’histoire sociale et de l’anthropologie, qui ont conduit à écarter presque complètement le droit des sources historiques. Il faut d’abord regarder autrement l’école historique allemande du XIXe siècle en ce qu’elle a transmis le cadre de la littérature juridique du Moyen Âge et de l’Âge Moderne : Savigny pour le droit romain, Schulte pour le droit canonique, répandent une conception « savante » du droit, détournant le lecteur des ouvrages de la pratique. Or, rien n’est plus éclairant que de réintégrer la pratique au droit savant. Le même mouvement permettra ensuite de revisiter l’affrontement entre romanistes et germanistes à l’intérieur de l’école historique et la construction de l’image des droits « populaires », souvent détachée de la réalité historique mais très puissante dans l’imaginaire historiographique, au point qu’elle continue à marquer le travail des historiens, le plus souvent à leur insu.


Ces deux points étant acquis, le deuxième axe de ma recherche porterait sur le cheminement des abstractions juridiques dans l’histoire des sociétés européennes dès le XIe siècle, lorsque la réforme de Grégoire VII fit le choix du procès rationnel et de l’encadrement juridique des droits des individus, jusqu’aux temps contemporains. On sera alors conduit à reconsidérer les rapports entre le développement de la scolastique juridique et les tensions de la société dans la politique et l’économie. Un tel programme implique de retrouver les liaisons entre les écoles de droit et les écoles de théologie, plus étroites qu’on ne l’a perçu jusqu’ici, puis entre les écoles de droit et l’ensemble des système d’enseignements et de recherches, à l’époque moderne mais aussi au XIXe et au XXe siècle. Il s’agit d’une analyse technique des institutions juridiques, fondée d’un côté sur la longue durée et la temporalité spécifique de la grammaire des concepts juridiques et de l’autre sur l’historicité du rapport entre droit et société. La longue histoire des formes de la possession, de l’antiquité tardive jusqu’au XXe siècle, pourrait former l’objet de cette expérimentation méthodologique.


Le troisième axe porterait sur la technique philologique pratiquée par l’école historique du droit. Fortement marquée par l’idéologie  nationaliste et romantique du XIXe siècle, elle propose néanmoins une méthode philologique excellente, reposant sur des techniques très raffinées d’analyse de la rédaction et de la diffusion des textes juridiques, et qui permettent évidemment un accès majeur à l’historicité du droit. Le rapport entre philologie et histoire du droit mérite donc d’être revitalisé, y compris dans le cadre de la formation des étudiants. C’est aussi, et peut-être d’abord par lui que peut s’opérer la réintégration du droit parmi les sciences humaines et sociales.


Il s’agit non seulement d’approfondir la relation entre le droit et les sciences humaines et sociales cultivées à l’École des hautes études en sciences sociales, mais aussi de renforcer le Centre d’études des normes juridiques en ce qu’il propose un accès au droit difficile à trouver dans les établissements universitaires de l’Europe continentale, contrairement aux tentatives des meilleures Schools of Law des États Unis, qui s’efforcent avec succès de rompre l’isolement technique où celui-ci s’est longtemps trouvé.