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La Lettre n° 37 | Déménagement
La mise en archives
Crédits : D. Fest
par Brigitte Mazon

La mise en archives… « un gage d’avenir »

Arpenteurs d’un monde documentaire, les archivistes ont, bien en amont du déménagement, quantifié les gisements, fait la part des livres et des archives, programmé leur prise en charge, orienté leurs destinations, évalué les coûts. Lors de la mise en archives, les chiffres perdent un peu de leur sens. Si au terme du processus d’archivage les cartons s’additionnent à l’unité et s’étendent sur des centaines de mètres linéaires dans l’homogénéité apparente des conteneurs, les chiffres échouent à dire la variété qualitative du contenu et l’archiviste peut avoir passé autant de temps à traiter dix cartons qu’un seul.
À l’heure du bilan, il y aura les chiffres, les volumes et les coûts, comme il se doit, mais il y aura surtout, au cœur des cartons, la multiplicité infinie des traces des activités de tous ceux qui, par leurs fonctions, ont participé à la vie de l’institution, contribué à son organisation, coopéré à son histoire scientifique. L’archiviste en recueille la matière, soucieux de collecter ce qu’il est légalement en charge de conserver et désireux de « chercher l’archive là où elle se dérobe », car l’archiviste, comme le dit Derrida, est « en mal d’archive », comme d’autres sont « en mal d’écrire ».
Passionnément en quête d’archives, l’archiviste est toutefois sans illusion sur leur complétude. Il sait que pas plus que de mémoire intégrale, il n’y a d’archives exhaustives. Il sait aussi qu’il joue un rôle essentiel dans leur conservation et leur transmission. Dans une situation contrainte, comme celle d’un déménagement, l’archiviste participe à une mission de délestage, d’aide au tri et à la sélection. Avec ceux qui ne supportent pas de jeter, il opère parfois à vif, le plus souvent avec empathie et il lui arrive d’être plus à l’aise en l’absence, concertée, de l’intéressé.

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Brigitte Mazon

Car on ne peut pas toujours « tout » garder, toute la matérialité de l’information qui a fait le quotidien de chacun, toutes les étapes de la gestation des documents, toutes les moutures, tout ce qui de près ou de loin alimente le volume exponentiel des « gisements documentaires ». Mais l’archiviste doit bien souvent agir en sens inverse, arrêter la main qui jette, révéler la valeur potentielle de ce qui allait être mis au rebut. Dans l’un comme dans l’autre cas, il opère un décentrement, puisque l’archive ne se confond pas entièrement avec l’intérêt immédiat que lui porte son producteur ou son dépositaire, il a  pour horizon les générations à venir, car «  l’archive a toujours été un gage, et comme tout gage, un gage d’avenir » (Jacques Derrida).