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La Lettre n° 86 | Échos de la recherche
14e Conférence internationale sur l’histoire des sciences en Asie orientale

14e Conférence internationale sur l’histoire des sciences en Asie orientale

Par Catherine Jami, Caroline Bodolec et Frédéric Obringer de l'UMR Chine, Corée, Japon

La 14e Conférence internationale sur l’histoire des sciences en Asie orientale s’est tenue du 6 au 10 juillet 2015 à Paris au 105 boulevard Raspail. Elle a été organisée sous les auspices de l’EHESS et en lien avec la Société internationale pour l’histoire des sciences, des techniques et de la médecine en Asie orientale (ISHEASTM).

La 14th ICHSEA faisait partie d’un cycle de colloques internationaux qui se sont tenus en Europe, en Asie orientale et en Amérique depuis 1990. Elle a rassemblé près de 400 chercheurs et enseignants-chercheurs venus de vingt-deux pays pour présenter et discuter leurs recherches les plus récentes sur l’histoire des sciences, des techniques et de la médecine en Asie orientale. Parmi eux, on comptait plus de 60 participants appartenant à des institutions françaises. C’est dire que cet événement de portée mondiale a trouvé l’écho local qu’il méritait. Comportant 317 communications, la 14th ICHSEA a été la plus grande réunion internationale dans l’histoire de ce domaine de recherche, avec des collègues venant de 22 pays. La langue de la conférence était l’anglais, seule langue commune à tous les participants, dont une majorité venait de l’Asie orientale1.

Trois chercheurs de l’UMR 8173 Chine, Corée, Japon l’ont organisée, Catherine Jami, Frédéric Obringer et Caroline Bodolec. Les trois organisateurs ont été soutenus tout au long de l’organisation par l’ensemble du laboratoire — qui avait fait de cette conférence l’un des points forts de son programme quinquennal 2014-2018 —, sur le plan matériel comme sur le plan scientifique. Un comité international du programme, un comité local d’organisation et un comité de parrainage scientifique ont également été constitués.

La préparation et le financement de la conférence

L'assemblée générale de l'ISHEASTM, réunie lors de la conférence précédente à Hefei (Anhui, Chine) en 2011, avait accepté avec enthousiasme la proposition d'organiser la conférence 2015 à Paris. Forts de ce soutien, nous avons commencé à préparer cet évènement en comptant sur la participation d’environ 200 personnes. Nous avons reçu pour cela un soutien sans faille de l’École, qui a mis à notre disposition les locaux du 105 boulevard Raspail. Nous avons également obtenu des financements de l’INSHS du CNRS, de la Région Île-de-France, ainsi que de groupements de recherche du CNRS, le GIS Asie et le GDR 3398 « Histoire des mathématiques ». Trois unités de recherche se sont également associées au projet par une contribution financière : le Centre Alexandre Koyré (EHESS, CNRS et MNHN), SPHERE (CNRS et Université Paris Diderot) et le CRCAO (CNRS, Université Paris Diderot et EPHE). Au niveau international, une subvention a été accordée à l’ISHEASTM par la Division d’Histoire des Sciences et des Techniques de l’Union internationale pour l’histoire et la philosophie des sciences et des techniques (IUHPST/DHST), qui fédère les historiens des sciences et des techniques à l’échelle mondiale. Enfin, la D. Kim Foundation for the History of Science and Technology in East Asia a apporté un soutien financier très généreux à l’événement. L’obtention de ces financements — qui représente autant de dossiers à préparer — a permis d’aider 35 chercheurs, pour la plupart doctorants ou post-doctorants, à participer à la conférence.

Avec le recrutement, début 2014, de Sica Acapo, qui a assuré le secrétariat de la conférence dans le cadre des deux stages de six mois qu’elle a effectués au sein de notre laboratoire pour son Master de communication interculturelle (INALCO), l’équipe s’est retrouvée au complet. La mise en ligne en juin 2014 du site Web de la conférence (développé sur la plate-forme sciencesconf.org) a coïncidé avec la publication du premier appel à contributions pour les panels. En réponse à celui-ci, nous avons reçu dès septembre 2014 près d’une cinquantaine de propositions, dont 45 ont été retenues. Chaque proposition a été lue par les trois organisateurs, mais aussi évaluée par un expert externe.
À ce stade, il était devenu évident que le nombre de participants allait dépasser de loin le chiffre de 200 sur la base duquel nous avions travaillé jusqu’alors. En réponse au second appel à contributions concernant les communications individuelles, lancé courant septembre 2014, nous avons reçu 170 propositions, qui ont été évaluées suivant le même processus. Sur l’ensemble des propositions reçues, le taux de rejet a été de 10% environ.

Sources, localité et histoire mondiale

À côté de la présentation de recherches en cours, la plupart des conférences du cycle ICHSEA ont un thème choisi par les organisateurs. Cela permet de mettre en débat des questions qui peuvent intéresser l’ensemble des participants, mais aussi d’impliquer des spécialistes d’autres champs de recherche. Le thème choisi pour la 14th ICHSEA était : « Sources, localité et histoire mondiale : sciences, techniques et médecine en Asie orientale ». En histoire des sciences, où les études sur l’« Occident » occupent encore une place prépondérante, voire hégémonique, la plupart des outils, concepts et critères de jugement qui ont cours ont été forgés à partir de la seule expérience historique européenne. Travailler sur une autre aire culturelle, en l’occurrence l’Asie orientale, implique une tension qu’il s’agit d’assumer pleinement. D’une part, nous avons à rendre compte de nos objets d’étude dans leurs propres termes, et à forger des outils qui nous permettent de le faire ; il nous faut pour cela travailler au plus près des sources. D’autre part, nous devons créer les conditions d’un dialogue permanent avec nos collègues « occidentalistes » ou spécialistes d’autre aires culturelles, avec pour objectif de penser ensemble la commensurabilité de nos objets d’étude respectifs. La nécessité de ce dialogue se fait plus particulièrement sentir lorsqu’on étudie la mondialisation des savoirs dans l’histoire où se confrontent des représentations plurielles du phénomène. Cela nécessite une prise en compte forte de la situation de nos objets dans le temps et dans un espace qui n’est pas seulement géographique, mais aussi social, politique et culturel : c’est ce que nous entendons sous le terme « localité ». De nos jours, les historiens des sciences sont de plus en plus nombreux à s’interroger sur les implications pour leur discipline des historiographies relevant de l’« histoire mondiale », de l’« histoire globale », ou des « histoires croisées ». Dans le même temps, des historiens s’attachent à rendre compte de l’histoire du monde à diverses échelles et de manière polycentrique. La 14th ICHSEA a été l’occasion de d’évoquer ces questions.

Diversité des contributions

Ce thème a en effet trouvé une grande résonnance parmi les participants. Une rapide analyse des sujets des panels permet en effet de dégager des évolutions dans le champ de recherche. Si la Chine reste le pays d’Asie orientale le plus étudié dans le domaine, devant le Japon et la Corée, deux panels ont été consacrés respectivement au Vietnam et aux Philippines. Les panels ont adopté en majorité une approche transnationale. De même, l’étude de disciplines particulières comme les mathématiques ou l’astronomie a cessé de dominer le champ au profit de questions historiques comme la circulation des idées et des pratiques ou la place de certains savoirs dans la société. Notons également que la médecine continue à occuper une place importante dans les travaux présentés.

Une autre évolution importante du domaine concerne les périodes étudiées. L’ISHEASTM a été fondée par des spécialistes des époques pré-modernes, sur lesquelles travaillaient la quasi totalité de ses membres jusqu’à il y a une dizaine d’années. À la 14th ICHSEA, en revanche, la période antérieure à 1600 était assez peu représentée parmi les sujets des panels et des communications, ce qui semble correspondre à une tendance plus générale des travaux historiques. Environ la moitié des communications portaient sur la période postérieure à 1850 : la transition entre un monde où les savoirs locaux dits « traditionnels » dominait et un monde « globalisé » dans lequel la science est réputée universelle semble bien être la question la plus travaillée aujourd’hui ; c’est à cette évolution que le thème de la conférence répondait. Notons aussi qu’un nombre important de contributions traitaient de sujets touchant au monde contemporain (depuis 2000). La conférence a donc réussi à réunir deux domaines souvent concurrents, entre lesquels la frontière est parfois floue : l’histoire des sciences et les études sur les « STS » (sciences, technologies et société). Les deux communautés, qui se côtoient rarement dans les colloques internationaux, sont ici entrées en dialogue.

Une sélection de contributions autour de ce thème sera publiée dans le premier numéro de la revue numérique que l’UMR Chine, Corée, Japon s’apprête à lancer.

Hommages à Ho Peng Yoke et à Nakayama Shigeru

La 14th ICHSEA a également été l’occasion de rendre hommage à deux grands chercheurs récemment disparus, Ho Peng Yoke 何丙郁 (1926-2014) et Nakayama Shigeru 中山茂 (1928-2014). L’œuvre de Ho Peng Yoke porte sur plusieurs domaines des savoirs de la Chine ancienne et pré-moderne, notamment l’astronomie, la divination et l’alchimie ; il a apporté une contribution essentielle à deux des volumes de la série Science and civilisation in China 2. Il a également joué un rôle primordial dans l’institutionnalisation du champ de recherche dont la conférence était l’objet.

Disciple de Thomas Kuhn, Nakayama Shigeru fut à la fois un historien de l’astronomie pré-moderne en Chine et au Japon et l’un des fondateurs des études sur les STS au Japon. Témoignage de son influence sur les chercheurs d’aujourd’hui, trois panels ont été consacrés à un champ qu’il a ouvert, l’étude des sciences japonaises au cours de la période d’expansion coloniale du Japon au XXe siècle.

Une réussite collective

Si les échanges scientifiques ont été fructueux, la conférence a été aussi un moment de rencontre entre collègues particulièrement chaleureux. Le lundi 6 juillet, la réception de bienvenue s’est tenue dans le Grand Salon de la Sorbonne, tandis que tous les participants garderont longtemps le souvenir d’une belle soirée où ils se sont retrouvés, le jeudi 9, pour une promenade sur la Seine.

Le succès de la 14th ICHSEA doit beaucoup à l’équipe d’accueil que nous avons recrutée, constituée d’une dizaine d’étudiants, et à l’aide efficace et attentive des personnels des services de l’École : qu’ils en soient ici remerciés.

1 Le programme et le livre des résumés de la conférence sont disponibles en ligne.
2 Vol. 4, Pt. 3. Spagyrical Discovery and Invention: Historical Survey, from Cinnabar Elixirs to Synthetic Insulin. Joseph Needham, with the collaboration of Ho Ping-Yu [Ho Peng-Yoke] and Lu Gwei-djen (Cambridge University Press, 1976)
Vol. 4, Pt. 7. Military Technology: The Gunpowder Epic. Joseph Needham, with the collaboration of Ho Ping-Yu [Ho Peng-Yoke], Lu Gwei-djen and Wang Ling (Cambridge, University Press, 1987).