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La Lettre n° 82 | Échos de la recherche
Socio-histoire des catégories sexuelles
par Régis Schlagdenhauffen

Socio-histoire des catégories sexuelles

Régis Schlagdenhauffen a été élu maître de conférences à l'EHESS par l’assemblée des enseignants en mars 2015.

Régis Schlagdenhauffen a suivi une formation de sociologie, d’ethnologie européenne et d’histoire à l’Université de Strasbourg et à l’Université Humboldt de Berlin. Ses travaux portent sur la manière dont des institutions, des groupes sociaux et des individus catégorisent des pratiques, des actes et des identités sexuelles.

Comment les catégories sexuelles ont-elles été construites ? Quels types de relations désignent-elles ? Quels enjeux sociaux et juridiques révèlent-elles ? Cette problématique est au cœur du projet d’enseignement et de recherche de Régis Schlagdenhauffen.

C’est dans la Mitteleuropa du second XIXe siècle que des intellectuels ont cherché à catégoriser les individus selon leurs pratiques et leurs orientations sexuelles. Ils en forgé une série de concepts dépassant la traditionnelle opposition masculin/féminin et ont proposé diverses formes de classification des sexualités (dont celle quadripartite normalsexuel, homosexuel, hétérosexuel, asexuel). Des juristes et des médecins s’en sont saisis au moment où plusieurs Etats ont réformé leurs codes pénaux, posant ainsi le droit et la morale au cœur des enjeux de catégorisation. Ce moment annonce le départ d’une enquête socio-historique qui est au cœur de mon projet de recherche et d’enseignement. L’enjeu étant de comprendre comment le droit a adopté ces classifications et comment des personnes se sentant plus ou moins concernées par les identités sociales produites se les sont appropriées, les ont transformées voire rejetées.

Formes de catégorisations et usages du droit

Comment le droit fait-il usage des catégories sexuelles et comment les acteurs sociaux s’en saisissent-ils ? Cette question sera travaillée en tenant compte des tensions entre droit et non-droit afin d’examiner – notamment au moyen de minutes de procès et d’écritures ordinaires (journaux intimes, correspondances) – la lente recomposition des normes liée aux sexualités et au progrès de l’égalité des sexes tout au long du XXe siècle. Il s’agit dès lors d’être attentif aux temporalités respectives des champs biomédicaux et juridiques, qui ne se recoupent pas de façon simple.

L’enquête que je mène en archives depuis deux ans permet de révéler des enjeux sociaux plus généraux liés à la transformation des normes sexuelles. Par exemple, des minutes de procès montrent qu’en reconstruisant des « parcours sexuels », les magistrats jugent en dernière instance des identités. Elles sont révélatrices d’une appréciation différentielle des sexualités hétérosexuelles et homosexuelles, masculines et féminines.

Saisir la judiciarisation du monde social

Des collectifs d’acteurs se sont emparés des catégories sexuelles dont font usage la justice et la médecine. L’attention grandissante à la notion d’égalité et les discussions qui s’ensuivent, relatives à la répression, l’acceptation, la reconnaissance d’identités sexuelles s’ancrent par conséquent au cœur d’une sociologie politique historicisée attentive au rôle joué par des acteurs institutionnels et internationaux. Les catégories fondées sur l’orientation sexuelle sont à considérer comme des vecteurs de transformation sociale et leur usage à différents niveaux analytiques permet de saisir la manière dont les débats actuels ont été forgés (décriminalisation des relations homosexuelles, mariage entre personnes de même sexe, transformation des règles symboliques de filiation, reconnaissance des identités de genre).

En proposant de redéfinir la cartographie des catégories sexuelles et en prenant pour focale l’orientation sexuelle en tant que catégorie semblant aller de soi mais pourtant insaisissable (en ce qu’elle désigne à la fois des formes de vie, des pratiques, des relations sociales et des personnes), mon projet d’enseignement et de recherche propose une socio-histoire de la sexualité. Il s’appuie sur des coopérations déjà engagées avec des collègues sociologues, juristes, anthropologues et historiens, avec pour objectif de construire un réseau stable de recherche transdisciplinaire.