Navigation – Plan du site
La Lettre n° 75 | Échos de la recherche
par Fabien Locher

Projet ANR GOVENPRO

L’histoire du gouvernement de l’environnement par la propriété (fin XVIIIe siècle-présent, Europe, États-Unis, mondes coloniaux et postcoloniaux)

Le projet GOVENPRO vient d’être sélectionné au titre de l’appel générique 2014 de l’Agence Nationale de la Recherche, pour la période 2015-2018. Coordonné par Fabien Locher, il associe l'EHESS et le Centre de Recherches Historiques (partenaires principaux) à l’unité PALOC de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD).

Les systèmes de propriété sont une instance centrale de mise en société des environnements : ils définissent leurs usages légitimes, aménagent leurs modes d’exploitation et de protection, les transforment en fonction de critères et de contraintes d’appropriation. La propriété façonne ainsi, dans un même mouvement, le visage de la nature anthropisée et les relations sociales qu’engage sa symbiose avec les sociétés humaines.

GOVENPRO envisage cette question sous un angle spécifique. Le projet étudie l’histoire du gouvernement de l’environnement par la propriété, de la fin du XVIIIe siècle au temps présent, sur trois terrains : l’Europe, les États-Unis, les mondes coloniaux et postcoloniaux. L'expression désigne l’ensemble des pratiques, savoirs et dispositifs qui orientent les usages des environnements par la propriété, dans trois directions : organiser leur exploitation ; garantir la disponibilité et la durabilité des ressources ; contrer les effets jugés délétères des activités humaines (préservation, conservation, mitigation). L'objectif est d'analyser historiquement ces formes particulières de gouvernement de l’environnement, leurs impacts sur les écosystèmes et les collectifs humains, les conflits qu’elles suscitent, leurs dimensions économiques, sociales et politiques.

GOVENPRO mobilise à cette fin une équipe internationale (France, USA, Hollande, Angleterre), comprenant une majorité d’historiens, mais aussi des économistes, des anthropologues et des politistes intéressés à la mise en perspective temporelle de leurs objets d’étude.

Une conception large de la propriété sous-tend le projet. Dans celle-ci, les systèmes de propriété fonctionnent comme un ensemble d’institutions de nature juridique, technique, politique, administrative, savante interagissant pour produire, dans chaque contexte, un faisceau de droits et de capacités d’action sur les choses. Cette conception large et située renvoie à l'approche méthodologique globale de GOVENPRO. Celle-ci est fondée sur l’analyse de cas historiques concrets, pour saisir, au-delà de la prise en compte des aspects normatifs, les processus complexes qu’engage, en situation, le gouvernement de l’environnement par la propriété.

Celui-ci n’a jamais été étudié comme un objet historique à part entière. Certains des pratiques, savoirs et dispositifs qu’il engage ont été considérés de manière partielle dans d’autres agendas de recherche. Mais ce projet vise à les étudier systématiquement et à les saisir ensemble, via un cadrage thématique, spatial et chronologique de grande ampleur. Ceci procède d'un choix fort. D’abord, GOVENPRO prend pour objet l’ensemble de la période contemporaine, jusqu’au temps présent. Si certains aspects du gouvernement de l’environnement par la propriété ont été étudiés jusqu’ici, ils l’ont été de manière segmentaire, sur des séquences brèves et avec une forte déconnexion entre l’après-1945 et les périodes antérieures. L'ambition du projet est au contraire de considérer les trajectoires de long terme de ces formes de gouvernement, pour en caractériser les évolutions, les ruptures, les permanences, et éclairer ainsi, dans un même mouvement, la situation contemporaine et l’histoire longue des socio-écosystèmes. Le choix d'un cadrage spatial large est une seconde option forte. Il a été pensé, notamment, pour ouvrir des perspectives globales et comparées sur trois grands ensembles juridiques (droit romano-civiliste, common law, droit colonial) ; sur une variété de systèmes économiques, y compris postsocialistes (Russie, Vietnam) ; sur des situations historiques mettant au contact droits écrits et droits coutumiers (Europe du XIXe siècle ; mondes coloniaux et postcoloniaux).

Le projet se concentre sur quatre grandes questions : (1) l’histoire des formes d’action publique opérant sur les environnements par l’entremise de la propriété (des dispositifs mobilisés de longue date par les États, comme les expropriations ou les systèmes de servitudes, à l'implémentation récente de droits de propriété intellectuelle sur le vivant, au nom de la « mise en valeur » économique et/ou de la protection des environnements) ; (2) l’histoire longue des Communs environnementaux, des dispositifs institutionnels qui ont suscité depuis une dizaine d’années une vague de travaux en sciences sociales, en écologie, en sciences du développement, et à propos desquels GOVENPRO déploiera un programme de recherche systématique, pour la période contemporaine ; (3) l’histoire environnementale des dynamiques d’enclosure et de domanialisation des écosystèmes et des ressources, considérée dans une perspective comparative et de long terme ; (4) l'histoire sociale et politique des théories et des discours liant environnement et propriété, d’Adam Smith à Elinor Ostrom, ceux-ci constituant une dimension essentielle de l’histoire de la pensée environnementale, jamais étudiée en tant que telle, et qui a pourtant été influente pour orienter, en contexte historique, les pratiques concrètes de gouvernement de l'environnement par la propriété.

Le projet débutera en janvier 2015, avec le lancement d'un séminaire organisé à l'EHESS et ouvert à tous sur simple inscription.

Contact: flocher(at)ehess.fr