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La Lettre n° 75 | Échos de la recherche
Sociologie des régimes autoritaires dans des sociétés libéralisées Les paradoxes de l’oppression, de l’URSS à la Russie
par Françoise Daucé

Sociologie des régimes autoritaires dans des sociétés libéralisées Les paradoxes de l’oppression, de l’URSS à la Russie

Françoise Daucé a été élue directrice d'études à l'EHESS par l’assemblée des enseignants en juin 2014.

Interrogeant les mutations politiques et sociales dans le monde contemporain caractérisées, d’un côté, par la libéralisation des sociétés et, de l’autre, par le renouvellement des formes de la coercition étatique, mes recherches proposent une sociologie des libertés ordinaires articulées aux nouvelles contraintes politiques afin de renseigner les configurations autoritaires et populistes à la période contemporaine. Mes travaux, menés conjointement à l’Université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand et au Centre d’étude du monde russe, caucasien et centre-européen (CERCEC) jusqu’en 2014, bénéficient, pour la période 2013-2017, du soutien de l’Institut universitaire de France.

Mes recherches s’appuient sur le cas particulièrement éclairant de la Russie post-soviétique. Dans ce pays, les dispositifs autoritaires sont en effet articulés à une multitude de libertés concrètes. Ce paradoxe joue en des lieux fort divers, explorés dans mes travaux antérieurs. Au sein de l’armée, la mise à l’épreuve de l’ordre militaire par des pratiques sociales en pleine libéralisation dans les années 1990 a montré les formes d’inclusion du libéralisme dans des dispositifs autoritaires (L’Etat, l’armée et le citoyen en Russie post-soviétique. 2001) et le développement de la violence dans des collectifs touchés par la libéralisation économique et sociale. Dans un autre domaine, celui de l’engagement associatif, la régulation publique de l’engagement militant passe par le recours à la violence mais aussi par des emprunts aux techniques de management des ONG occidentales. Depuis le début des années 2000, les dispositifs de gestion de la société civile par l’administration russe (distribution de subventions sur projets, création d’institutions de concertation…) permettent ainsi le déploiement d’une paradoxale « civilité de l’oppression » sur les associations (Une paradoxale oppression. Le pouvoir et les associations en Russie. 2013).

Cette exploration du renouvellement de la domination politique mérite d’être prolongée à la lumière de nouveaux objets. Pour les années à venir, mon projet de recherche porte ainsi sur la transformation des rapports de libertés et d’autorités dans le monde de la presse et des médias. Dans le cas de la Russie, il concernera la période qui va du soviétisme tardif à l’autoritarisme contemporain (1970-2010) pour saisir tant les discontinuités (nées de la glasnost et de la rupture politique de 1991) que les continuités dans les pratiques de régulation de la production médiatique. Pour les saisir concrètement, je propose d’examiner l’articulation entre les réalités ordinaires de la fabrication de l’information et les dispositifs d’encadrement public de l’activité médiatique. A partir d’enquêtes empiriques attentives aux pratiques professionnelles des journalistes mais aussi aux réalités économiques des entreprises de presse et aux effets des innovations technologiques (particulièrement intéressants avec le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication), il s’agit d’offrir un nouveau regard sur les relations entre pouvoir et médias dans un environnement qui s’ouvre, se complexifie et se connecte.

Dans le prolongement de ce projet, deux axes d’enseignement se dessinent. Le premier, intitulé « Pouvoir et médias, d’une domination l’autre (de l’URSS à la Russie) », entend s’appuyer sur les développements récents des études en sociologie des médias pour proposer une nouvelle analyse des pratiques d’information dans la Russie contemporaine. Le second, relatif aux « Paradoxes des régimes autoritaires libéralisés », souhaite contribuer à la compréhension des régimes coercitifs dans les sociétés de la fin du XXe et du début du XXIe siècle et ouvre d’importantes perspectives comparatives.