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La Lettre n° 75 | Échos de la recherche
Genre, parenté et hiérarchies à l’époque moderne
par Sylvie Steinberg

Genre, parenté et hiérarchies à l’époque moderne

Sylvie Steinberg a été élue directeur d'études à l'EHESS par l’assemblée des enseignants en juin 2014.

La mise en regard des hiérarchies sociales, des liens familiaux et de la différence des sexes à l’époque moderne relève de la rencontre de plusieurs historiographies. D’une part, il s’agit de considérer la société d’Ancien Régime à l’aune de l’histoire sociale de l’époque moderne telle qu’elle se déploie aujourd’hui dans son attention aux différentes échelles d’observation et aux modalités de narration. D’autre part, il s’agit d’envisager les liens de parenté dans la perspective d’une Anthropologie historique de la parenté qui continue d’offrir des clefs de compréhension du fait familial. Enfin, il s’agit de proposer à travers le prisme du genre, une approche nouvelle d’un certain nombre de rapports et de mécanismes sociaux, centraux tant dans les représentations que cette société se donne d’elle-même que dans les hiérarchies qui l’organisent. La notion de genre est envisagée comme un levier heuristique qui aide à construire une compréhension renouvelée du monde social. Elle n’est pas figée dans une définition donnée a priori mais elle est mise à l’épreuve du matériau historique à travers lequel est évaluée sa pertinence mais aussi son caractère fondamental ou, au contraire, second dans la compréhension de tel discours ou de telle pratique.

Dans une première étape de ma recherche, en travaillant sur le travestissement à l’époque moderne, j’ai cherché à comprendre ce qu’historiquement, les représentations savantes mais aussi les expériences – celle de la transgression de la frontière entre les sexes –, faisaient comprendre des conceptions générales de la différence des sexes entre le XVI e et le XVIII e siècle et de leur évolution. Dans un second temps, j’ai travaillé sur l’histoire de la sexualité au carrefour de la médecine et du droit, des discours et des pratiques. Enfin sur des thématiques ressortissant de l’histoire de la parenté.

L’étude de la façon dont la hiérarchie entre homme et femme s’insère dans les autres types de hiérarchies (d’âge, de statut, d’état, de richesse) est à l’origine des travaux que je me propose de mener. Dans bien des occasions, des femmes se substituent à des hommes afin de faire perdurer une lignée, une entreprise, survivre une famille, assurer une continuité au sein d’un « corps », qu’il soit économique ou territorial. Plutôt que des preuves par l’exception d’un “pouvoir” des femmes, elles sont plutôt des solutions juridiques et sociales caractéristiques d’une société hiérarchique qui semblent aller en s’épuisant, au fur et à mesure de l’avènement de la société démocratique au XIXe siècle.

La question des transmissions, inséparable de ces processus de substitution, renvoie directement à celle de la place des femmes dans la parenté. Le cas de la noblesse a fait et fera l’objet d’une attention particulière dans la mesure où les types de transmission, symbolique et matérielle, y obéissent à des règles particulières. C’est en considération de ces particularités que se pose la question de la place des bâtards dans la lignée noble qui se représente, surtout à partir de la fin du XVIIe siècle, comme une descendance qui lie des mâles légitimes à des mâles légitimes, ignorante en principe des bâtards et des filles. L’étude de la bâtardise permet aussi de poser à nouveau frais des questions comme celles de la “race noble”, de la pureté lignagère et de l’hérédité.

Avec la bâtardise, des distinctions liées au statut de naissance renvoient à un ordre social, à une hiérarchie ou à une série de hiérarchies ordonnatrices de cette société d’Ancien Régime. C’est autour de l’emboîtement des statuts, ceux que confèrent la filiation, la naissance, le rang d’une part, et ceux que confère le genre d’autre part, que je voudrais axer ma recherche et mon enseignement. Il s’agira d’éclairer, à partir d’une attention particulière portée au droit, à la jurisprudence et aux résolutions judiciaires des conflits, aux procédures administratives et aux desseins politiques de la Monarchie, les mécanismes qui unissent les différentes échelles hiérarchiques qui structurent la société moderne, les logiques sociales qui règlent leurs emboîtements mais aussi les adaptations que les actrices et acteurs s’aménagent au sein de ces logiques. Il s’agira d’évaluer « ce que le statut fait aux personnes » mais aussi pourquoi ces statuts sont négociés pragmatiquement dans certaines circonstances particulières.