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La Lettre n° 74 | Échos de la recherche
par Valeria Siniscalchi

Valeur et valeurs. Les systèmes et les processus agroalimentaires en débat

Du 10 au 12 juin a eu lieu à Marseille, au centre de la Vieille Charité, un workshop portant sur la valeur et les valeurs dans les systèmes et les processus agroalimentaires. Vaste question que les chercheurs réunis à cette occasion, en provenance d’horizons scientifiques, de disciplines et de pays différents, ont abordée à partir de leurs terrains d’enquête respectifs : du Portugal à la Grèce en passant par l’Espagne, la France et l’Italie, de l’Amérique Latine à l’Asie jusqu’aux instances internationales où s’affrontent des groupes de pouvoir divergents.

L’idée de ce workshop est née lors du séjour à Marseille de Susana Narotzky, enseignant invité à l’EHESS en 2012-2013 et de l’envie de faire dialoguer le « Grup d’estudios sobre reciprocitat » qu’elle coordonne en Espagne et le groupe de chercheurs français travaillant sur le fonctionnement et les modes de gouvernance des circuits courts alimentaires dans le cadre du projet EQUALIM-TERR, financé par la Région PACA.

À l'origine de ce workshop et des choix thématiques des organisateurs, il y a eu tout d'abord l’exigence des anthropologues de l’économie d’ancrer l’analyse des processus de production, de distribution et de consommation alimentaires dans une perspective ethnographique en les situant dans des contextes sociaux précis, tout en prêtant attention aux dynamiques supra locales. Ensuite, le désir d'élargir la réflexion à d'autres collègues, géographes, économistes, agronomes, historiens et sociologues a permis de donner à ces rencontres leur forme définitive.

Les chercheurs invités (doctorants et post doctorants, mais aussi chercheurs invités à l’EHESS cette année ou par le passé) se sont penchés sur l’analyse des processus politiques et des acteurs institutionnels impliqués dans les différents systèmes agro-alimentaires (Birigt Müller, Núria Morelló, Filippo Zerilli, Diana Sarkis). Une des entrées a été celle des économies morales : les critères de qualité, les formes de standardisation et les modes de construction de la confiance ont permis d’esquisser les valeurs élaborées dans les diverses phases de « commodification » et « decommodification » de la nourriture (M. Carmen Cùellar, Peter Luetchford, Jeffrey Pratt, Sylvaine Lemeilleur, Christèle Dondeyne et Paule Moustier). Repenser la production et la consommation amène à repenser les rôles et les identités professionnelles des producteurs - paysans, fermiers, entrepreneurs, commerçants - mais aussi des consommateurs (Bibiana Martínez, Alicia Reigada, Jesús Contreras, Gianluca Brunori et Nicoletta Stendardo). En même temps, quand de nouvelles formes de distribution et de consommation sont mises en place, le rôle des médiateurs est souvent remis en cause ou redéfini : cela ne veut pas dire que les fonctions de médiation disparaissent, mais elles prennent d’autres formes. Et de nouveaux rapports et hiérarchies de pouvoir émergent (Sylvia Gómez, Jean Noël Consales, Noé Guiraud, Niccolò Mignemi et Pierluigi Milone). Enfin, une entrée par les différentes formes d’activisme a permis d'interroger la notion de « food activism » (Food Activism. Agency, Economy, Democracy, C. Counihan and V. Siniscalchi, Bloomsberry 2013) et la productivité d’un regard comparatif sur les pratiques et les valeurs mobilisées dans des systèmes de production ou de distribution qui sont pensés comme « alternatifs » (des AMAP aux jardins urbains) ainsi que dans des mouvements politiques plus structurés comme la Via Campesina (Juliette Rouchier, Patricia Homs, Delphine Thivet, Theodoros Rakopoulos, Ana Isabel Afonso, Krista Harper).

La table ronde finale a permis de poser des questions d'ordre méthodologique sur la distance / proximité des chercheurs travaillant sur les systèmes agroalimentaires, des plus classiques impliquant de la main d’œuvre étrangère jusqu’aux formes qui essayent de s’éloigner le plus du système de marché. Michael Redclift, Krista Harper, Richard Wilk, Birgit Müller, Susana Narotzky et Valeria Siniscalchi ont choisi des entrées thématiques pour tirer les fils rouges des ces journées (l’authenticité, la confiance, l’argent et les prix, les activismes). Les connexions et les va-et-vient entre des valeurs qui font référence à des ordres politiques et moraux socialement définis, et des valeurs d’échange qui sont élaborées dans différents marchés (du travail, de la terre, de la production etc.) et qui sont impliquées dans la détermination des prix, ont été au cœur des échanges, qui se poursuivront sous d'autres formes dans les mois à venir.