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La Lettre n° 72 | Échos de la recherche
par Sophie Fisher

Eliseo Verón (1935-2014), La solitude et la tristesse du savoir

C’est le titre de l’hommage qu’Eliseo Verón a publié à la mort de Lévi-Strauss, celui qui fut son premier maître et inspirateur déjà en Argentine – où il a traduit et publié L’Anthropologie structurale – et avec lequel il s’était inscrit entre 1961 et 1963 pour commencer une thèse. Or, en 1967 il écrit à Roland Barthes qu’il avait eu l’accord de Lévi-Strauss pour changer de DE : car «mon travail se plaçait entièrement hors du champ de l’ethnographie ».

Une nouvelle vie s’ouvre alors pour lui. La situation en Argentine après le coup d’état de 1966 devient de plus difficile. Avec le soutien de R. Barthes il est nommé DE associé à l’EPHE (VIe section) pour un séminaire dont l’intitulé Perspectives sémiotiques dans les Sciences Sociales et les thématiques discutées : Sur la constitution de l’objet théorique de la linguistique et Conditions pour une théorie des discours sociaux, forme provisoire pour une théorie sociologique des idéologies signalent une démarche dont le n° 20 (1973) de Communications : Le sociologique et le Linguistique, en est le premier exemple. Là sont réunis aussi bien les tenants américains de l’interaction sociale (H.Sacks, J D. McCawley, A.Cicourel, entre autres) que les tenants de la théorie de l’énonciation et la logique (J.B.Grize, A. Culioli, J.Milner, J.Cl. Anscombre, G. Vignaux, S. Fisher, E.Verón).

En 1973 il rentre en Argentine, et Roland Barthes pensait qu’il reviendrait – car il/nous étions sceptiques sur ce retour à la démocratie – d’où ce mot qu’il m’envoie le 17-10-73 : « Je vous dis de nouveau combien je suis heureux qu’en l’absence d’Eliseo Verón vous vous occupiez de ce petit groupe de linguistique… ». Ce fut chose faite et bien nous en prit car, entre 1975-76, 76-77 et 77-78, devant toujours fuir la répression, il fut DE associé à l’EHESS avec un séminaire intitulé : Idéologie et théorie du discours et où j’assurais un séminaire complémentaire : Problèmes d’analyse linguistique. Un autre n° de Communications, 28 (1978) en hommage à Georges Friedmann, le créateur du CECMAS en 1960, porte sur Idéologies,discours, pouvoirs, et nous retrouvons des anthropologues : M. Augé, C. Bernand, M. Godelier, mais aussi des linguistes : A. Peyraube, sémiologues : V. Morin, J.Natali, A. Bouillon, et bien sûr Verón dont le texte : Le hibou est une magistrale démonstration (presque 60 pages !) de sa méthode portant aussi bien sur les textes, l’image et la mise en « forme » dans des hebdomadaires, journaux, émissions radio et télévision, pour montrer ce qu’il a appelé la sémiosis de l’événement, de là son approche de : Construire l’événement. Les médias et l’accident de Three Mile Island (Minuit, 1981) première analyse d’un accident nucléaire « caché » et où les médias français s’interrogent sur leur rôle.

Son aventure à l’École se termine au début des années 80, mais après un doctorat d’État à Paris VIII : Production de sens. Fragments d’une sociosémiotique (1985), il dirige, jusqu’à sa retraite, le Département des Sciences de l’Information et de la Communication à Paris 8. Et puis rentre en Argentine…où il continue d’enseigner, de chercher et d’écrire.

De sa foisonnante bibliographie, en espagnol, français, anglais, portugais, italien, j’aimerais signaler quelques titres dont : (1999) Efectos de agenda (dédié à la mémoire de Roland Barthes), (2001) Espacios mentales, et, en deux parties : La semiosis social, (1987) Fragmentos de una teoría de la discursividad, et en 2013 : La semiosis social 2 :Ideas, Momentos, Interpretantes, son dernier livre placé sous une phrase de Peirce (1878) : "Thought is a thread of melody running through the succession of our sensations".

Le traduire serait une contribution importante à nos disciplines.