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La Lettre n° 71 | Dans les centres et les services | Disparition
Nicole-Claude Mathieu
par Marie-Élisabeth Handman

Nicole-Claude Mathieu

Maîtresse de conférences, décédée le 9 mars 2014, Nicole-Claude Mathieu est entrée à l’École en 1971 en qualité de chef de travaux, chargée au Laboratoire d’anthropologie sociale de la rédaction de L’Homme, puis des Cahiers de l’Homme.

Parallèlement à ces tâches, Nicole-Claude Mathieu n’a cessé de conduire des recherches sur les catégories sociales des sexes, sur le genre – terme qu’elle a contribué à introduire en France dès les années 70 – et, s’inspirant de Mauss, sur la personne femme. Sa double formation de sociologue et d’anthropologue lui a permis de développer des analyses à visée globale, incluant de manière transversale les sociétés occidentales et non occidentales.

Ces travaux pionniers de féministe matérialiste ont immédiatement connu un grand retentissement international et chacun de ses très nombreux articles ont été traduits en plusieurs langues. Cependant, dans les années 70 et 80 en France, les chercheuses féministes étaient considérées davantage comme des militantes que comme de véritables scientifiques. Raison pour laquelle Nicole-Claude Mathieu a eu à subir les sarcasmes de nombre de ses collègues masculins et un considérable retard de carrière : elle n’a obtenu un poste de maître de conférences qu’en 1990, date à laquelle pourtant elle était déjà Docteur honoris causa de l’université Laval ; le seul Français avant elle à avoir connu cet honneur au Québec avait été Claude Lévi-Strauss.

Nicole-Claude Mathieu a fortement contribué à construire le champ des études féministes en France. D’une part en co-créant la revue Questions féministes ; d’autre part en dirigeant des ouvrages collectifs dont les deux plus importants sont L’arraisonnement des femmes, publié en 1985 et Une maison sans fille est une maison morte. La personne et le genre en sociétés matrilinéaires et/ou uxorilocales, publié en 2007. Ont également contribué à construire ce champ ses nombreux enseignements dont son séminaire à l’École, véritable pépinière de chercheurs dont l’École recueille aujourd’hui les fruits.

Ses articles d’épistémologie ont été rassemblés dans l’ouvrage L’anatomie politique (1991 et 2014). Elle y développe notamment une critique du biais androcentrique dans les études d’anthropologie qui lui permet d’affirmer que céder (à la violence des hommes) n’est pas consentir, contrairement à la doxa selon laquelle les dominés consentiraient à leur domination. Elle critique d’ailleurs le terme de domination qui fait la part belle aux dominants, et lui préfère celui d’oppression. Tout aussi stimulant est son article sur les trois modes de conceptualisation du rapport entre sexe et genre, qui permet de comprendre aussi bien les mariages entre personnes de même sexe dans les sociétés africaines que la problématique du troisième sexe social dans nombre de sociétés.

En perdant Nicole-Claude Mathieu, l’École perd une puissante théoricienne et une grande enseignante.