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La Lettre n° 69 | Dans les centres et les services | Départ en retraite
par Pierre Mounier

Annik Le Pape

« Cher confédéré… ». Voilà comment débutait le premier message que j’ai reçu d’Annik Le Pape, il y a un peu plus de dix ans, alors que chargé d’une revue électronique qui rejoignait Revues.org, je venais d’envoyer par mégarde un courriel non sollicité à l’ensemble des membres de la « fédération de revues de sciences humaines et sociales » à laquelle appartenait déjà l’une des revues de l’École dont elle s’occupait.

La suite n’était pas très aimable, on s’en doute. J’ai depuis appris à connaître et apprécier sa détestation de la communication inutile et du vain babil dont nous intoxiquent quelquefois les moyens de communication électronique. Professionnelle de haut niveau, Annik a joué un rôle essentiel de transmission d’une tradition, celle de l’édition de sciences sociales, dont les éditions de l’École représentent l’excellence, auprès de son actualisation la plus récente : l’édition électronique de sciences sociales que sert le Centre pour l’édition électronique ouverte. En passant de l’une à l’autre, Annik a su reconfigurer sa pratique professionnelle au nouveau contexte, mais elle a conservé l’essentiel, et le meilleur de cette tradition. Que le texte soit imprimé ou numérique, elle y a toujours traqué la plus juste expression, le mot le plus juste, chassant l’approximation et la fioriture et passant la langue au crible d’une lecture sans concession.

Sans concession. Voilà une expression qui va bien à celle qui, plus que tout autre, refuse l’hypocrisie des conventions sociales pour toujours dire franchement et directement le fond de sa pensée, au risque de déplaire. Et si l’on garde quelquefois le souvenir cuisant de quelque volée de bois vert, il ne faut pas oublier le grand éclat de rire qui suit le plus souvent, et qui efface tout. Parce que la faible appétence d’Annik pour la diplomatie signifie aussi une générosité sans égale. Par gros temps, il y a ceux qui vous regardent couler en faisant de grands sourires sur le bord du quai ; et il y a Annik la bretonne qui vous tend toujours une main salvatrice en vous grondant abondamment. Nous sommes quelques-uns à pouvoir en témoigner.

« Cher confédéré ». Il ne faut pas oublier cette adresse parce qu’elle témoigne de la part politique, sans doute la plus importante, que comprend un engagement professionnel de premier plan. Cet engagement pour les sciences sociales, la diffusion des savoirs et une certaine conception du service public ne peut être compris qu’en fonction des objectifs politiques de démystification et d’émancipation qu’Annik a poursuivis tout au long de sa carrière ; à l’EHESS. Il est difficile de dire si les institutions ont une personnalité. Mais si c’est le cas, elle n’existe que parce qu’elle s’incarne au moins dans quelques-uns de ceux qui l’habitent. Pour moi, Annik a toujours représenté l’École, non pas seulement eu égard à la longévité de sa carrière en son sein et à sa connaissance incomparable de son histoire et de son mode de fonctionnement, mais aussi et surtout par une personnalité hors du commun qui vient d’être esquissée : exigeante, frondeuse, engagée, et qui n’est rien d’autre que le visage de la liberté.

Bon vent, chère confédérée.