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La Lettre n° 68 | Dans les centres et les services | Départs en retraite
Françoise Weyer
par Rose-Marie Lagrave

Françoise Weyer

Il est des visages et des personnalités qui laissent des traces et des empreintes si profondes qu’ils en viennent à se confondre avec l’histoire de l’École. Dès lors, il faut procéder à leur descellement pour restituer leur singularité, façon aussi de leur rendre justice, en donnant une visibilité à la part d’ombre de l’École que sont les fonctions administratives, rarement mises en lumière.

Françoise Weyer est l’une des figures qui incarnent au plus près la manière dont l’École ne peut être dissociée d’une administration qui a toujours fait corps avec elle. Or, le terme administration recouvre des parcours et des fonctions très hétéroclites, l’École attirant des profils non totalement formatés.

Tel est le cas de Françoise Weyer. Titulaire d’une maîtrise de Lettres modernes, elle entre à L’École comme agent contractuel en 1983, affectée au paiement des vacations, puis au service des missions ; elle rejoint ensuite la division des relations internationales, pour en 2007, seconder Yves Hersant à la direction de la mention « Théorie et pratiques du langage et des arts », du Master de l’École. Elle fut reçue au concours d’attachée d’administration en 1996, devint ingénieure d’études 1ère classe en 2007, et elle a pris sa retraite au 1er septembre 2013. Volontairement elliptique, ce raccourci d’une carrière de trente ans passés au service de l’École entend laisser la place à un regard éloigné du style curriculum pour retraité-e-s.

Françoise Weyer est beaucoup plus qu’une carrière sur le papier ; c’est une façon d’être et de faire, qui, bien que relevant de l’administration n’a jamais été bureaucratique et uniquement gestionnaire. Surdiplômée par rapport au poste occupé à son entrée à l’École, Françoise Weyer dont les deux parents étaient universitaires, a toujours su créer des passerelles entre enseignants et administratifs, puisqu’elle participait des deux mondes, tant par sa culture acquise que par son ancrage familial. Son intelligence des situations, son humour corrosif, et son sens de l’organisation pour venir à bout ou contourner des tracasseries administratives ne le cèdent en rien à une présence généreuse pour ceux et celles dont elle a eu la responsabilité. Elle ne s’est jamais contentée de gérer des dossiers, attentive qu’elle est à des personnes singulières, en leur réservant un accueil et une écoute sur mesure. Françoise Weyer s’inquiétait toujours de savoir si les vacations seraient payées à temps ; elle accompagnait chaque professeur invité dans le dédale des démarches administratives ; elle prenait le temps d’expliquer aux étudiants les obligations d’un master, de sorte qu’elle n’a jamais seulement occupé des postes successifs, elle les a constamment redéfinis en élargissant son périmètre d’action.

Et tout cela dans la bonne humeur. Pour avoir travaillé près de dix ans avec elle et Jeanne Allard à la division des relations internationales, dans le même bureau ou dans un bureau adjacent, je suis témoin du plaisir qu’on avait de travailler avec elle, et son rire ponctuait les journées. Comment ne pas se souvenir de nos regards de connivence lorsqu’un fâcheux ou un obséquieux passait dans nos bureaux, et les commentaires allaient bon train dès qu’ils avaient tourné les talons. Je revois encore Françoise aider Milan Kundera à mettre à la poubelle les piles de courrier en souffrance qui l’attendaient dans notre bureau. Et la liste serait longue des souvenirs d’elle, si cette liste ne risquait pas de tourner à l’anecdotique. Car je lui dois surtout d’avoir toujours eu le souci de préserver mon travail et d’avoir su créer les conditions d’un travail collectif harmonieux et efficace. J’ai ainsi bénéficié du calme que Françoise Weyer savait opposer à mes moments de panique lors des périodes de chauffe, et en plus d’un cas, c’est elle qui me rassurait.

C’est ensemble que nous avons donné une nouvelle impulsion et dimension à la division des relations internationales. Par exemple, nous avons réussi à présenter et à obtenir le seul Tempus en sciences sociales existant, véritable manne qui a permis de financer l’Atelier franco-hongrois en sciences sociales, et permis à Françoise Weyer de m’accompagner lors de deux missions à Budapest. Les listings et colonnes de chiffres qu’elle comptait et recomptait se mettaient alors à vivre leur vie hongroise, et s’incarnaient sous différentes espèces : les livres de la petite bibliothèque de l’Atelier trônaient en bonne place, les bourses pour les étudiants hongrois prenaient visages et corps, et Françoise découvrait en situation les effets de son travail à Paris.

Elle n’a eu de cesse aussi de découvrir nombre de services de l’École à la faveur de mobilités internes qui lui ont donné une connaissance fine de notre institution. Et ce ne fut que justice lorsqu’elle a rejoint en 2007 Yves Hersant à la mention « Théorie et pratiques du langage et des arts ». Non seulement parce que Françoise anticipait constamment les effets de lassitude produite par un travail routinier, et souhaitait changer de service, mais aussi parce que cette affectation finale renouait avec sa formation initiale, la littérature. La boucle semble ainsi se boucler, sous l’effet d’un pied de nez du « destin », qui d’un mémoire de maîtrise sur « l’évolution du héros de western » se clôt par un travail avec les « héros » des théories du langage.

Ces défis que Françoise s’est donnés et que pour certains nous avons relevés ensemble ont été aussi l’un des creusets de notre amitié. Signe que peuvent circuler dans le travail, au cœur même des relations hiérarchiques, entre enseignants et personnels administratifs, un jeu de dons et contre dons et une affection réciproque, résumée par le terme d’adresse que Françoise utilise à mon endroit : « la petite ».

Souligner cette amitié au travail c’est militer une fois encore pour destituer et atténuer les effets de discrimination du clivage entre enseignants et administratifs. Les personnels administratifs ne sont pas seulement des « petites mains » que l’on remercie lors d’un départ à la retraite. Ce sont des femmes et des hommes qui ont fait l’École, service par service, génération par génération, et qui constituent un gisement d’amitié à condition de ne pas les réduire à l’emploi occupé. Françoise Weyer a tissé un réseau d’amitiés dont les fils traversent ce clivage, avec la belle assurance que l’intelligence et la générosité sont également réparties dans toutes les composantes de l’École.

Certes on doit consentir à souhaiter un bon départ, une retraite en somme. Je n’y consens qu’à demi, tant le profil que Françoise Weyer a construit à l’École me semble devoir reprendre du service.