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La Lettre n° 68 | Échos de la recherche
Une nouvelle géographie mondiale des villes de science se dessine

Une nouvelle géographie mondiale des villes de science se dessine

Communiqué de presse du CNRS

Beijing (Pékin), Tokyo, Paris, New York, Séoul, Londres… les grands foyers de la science pèsent moins que par le passé du fait d’une déconcentration géographique au niveau mondial. Tel est le résultat de l’analyse statistique systématique menée par des scientifiques du Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires (CNRS/Université de Toulouse II-Le Mirail/EHESS) sur des millions d’articles de publications scientifiques, édités entre 1987 et 2007 dans des milliers de revues scientifiques. Ces travaux récemment publiés sur le site de la revue Urban studies sont les premiers à s’intéresser à la géographie de la science au niveau de l’ensemble des villes mondiales.

Après avoir codé géographiquement, ville par ville, l’ensemble des articles recensés dans le Science Citation Index (SCI) (1) entre 1987 et 2007, les chercheurs du Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires (CNRS/Université de Toulouse II-Le Mirail/EHESS), en collaboration avec deux collègues montréalais associés au Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST), montrent que les grands foyers de la science pèsent moins que par le passé : la part des dix premières villes mondiales est passée de 20% en 1987 à 13% en 2007. Ils montrent également que ce phénomène s’accompagne d’une tendance générale à la déconcentration. Celle-ci est perceptible à l’échelle mondiale, pays par pays, notamment dans les pays émergents. C’est le cas de la Chine : le poids des grandes capitales provinciales en Chine est beaucoup plus fort que par le passé, le développement fulgurant de la science chinoise s’accompagnant d’un rééquilibrage géographique. Alors qu’en 1987 Beijing (Pékin) et Shanghai rassemblaient à elles seules 52,8% du nombre d’articles publiés par des chercheurs chinois dans le Science Citation Index, en 2007 cette proportion tombe à 31,9%. La Turquie est un deuxième exemple frappant d'un pays émergent dont le système scientifique a connu une croissance très rapide. En nombre d'articles publiés, entre 1987 et 2007, le pays est passé de la 44ème à la 16ème place mondiale. Dans le même temps, les deux métropoles scientifiques principales, Ankara et Istanbul, ont vu leur poids dans l'ensemble turc diminuer. Alors que ces deux villes représentaient largement plus de 60% de la production scientifique nationale il y a 20 ans, elles représentent aujourd'hui un peu moins de la moitié du nombre d'articles publiés par des chercheurs turcs. Comme en Chine, la croissance de l'activité scientifique s'est accompagnée d'une déconcentration géographique : il existe davantage de pôles scientifiques en Turquie qu'il y a 20 ans et les deux capitales "historiques" de la science nationale pèsent moins dans le total.

Les Etats-Unis qui restent le premier pays en termes de production scientifique dans le monde constituent un cas à part : le nombre d'articles écrits par leurs chercheurs continue à augmenter régulièrement, mais à un rythme plus lent que dans les pays émergents. De ce fait, le poids de la science américaine est moins fort que par le passé : en 1987, les Etats-Unis représentaient 34% du SCI, vingt ans plus tard (2007) un peu moins de 25%. Mais la géographie de la science américaine est assez stable : le poids des grands centres dans l'ensemble national n'évolue pas significativement, le système scientifique américain étant l'un des moins concentrés au monde avec une activité de recherche répartie dans des centaines de villes, petites, moyennes ou grandes.

Alors est-ce le déclin des grands centres de science ? Le fait qu'à l'échelle mondiale l'activité scientifique ait tendance à se déconcentrer géographiquement ne signifie pas qu'il y ait un déclin des grandes métropoles à forte tradition de recherche. Les plus grandes villes continuent de voir leur activité se développer : le nombre d'articles publiés à Londres, Paris, New York ou Tokyo augmente ainsi chaque année. Mais le rythme de croissance de leur activité est plus lent que dans les autres villes du système scientifique mondial. Il se produit donc de plus en plus de science dans un nombre de villes en augmentation et la part des grandes villes scientifiques dans ce total est moindre que par le passé.

Ces résultats financés dans le cadre d'un programme ANR (2010-2013) permettent de remettre radicalement en question les postulats selon lesquels la production scientifique obéirait à un processus inéluctable de concentration dans quelques grandes métropoles, en direction desquelles il faudrait concentrer les moyens.

(1) Le Science Citation Index (ou SCI) est une base de données bibliographiques créée aux Etats-Unis en 1964, et qui a l'ambition de recenser l'ensemble de la production scientifique mondiale. Dans sa version actuelle (SCI-Expanded), qui fait partie du Web of Science (WoS), de la compagnie Thomson Reuters, recense plus d'un million d'articles scientifiques par an. Il couvre le domaine des sciences expérimentales et des sciences de l'univers, la médecine, les sciences de l'ingénieur, etc., mais pas les sciences humaines et sociales qui se retrouvent plutôt dans le SSCI. Dans les notices du SCI-Expanded, on trouve d'une part des indications sur les contenus des articles scientifiques (titre de l’article, nom de la revue, résumé, mots-clés), puis sur les auteurs de chaque article recensé (noms, institution, ville, pays), et enfin la liste des références citées dans cet article.

Références

Michel Grossetti, Denis Eckert, Yves Gingras, Laurent Jégou, Vincent Larivière, and Béatrice Milard, Cities and the geographical deconcentration of scientific activity: A multilevel analysis of publications (1987–2007), Urban Studies, 0042098013506047, November 20, 2013, doi:10.1177/0042098013506047, http://usj.sagepub.com/content/early/2013/11/20/0042098013506047.full.pdf+html

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