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La Lettre n° 65 | Échos de la recherche
La culture : un nouvel enjeu urbain ?
Crédits : Marion Slitine

La culture : un nouvel enjeu urbain ?

par Jean Boutier, Emmanuel Pedler et Valeria Siniscalchi

Comment les sciences sociales pensent-elles et décrivent-elles le périmètre urbain des offres culturelles ? L’EHESS, pour cette troisième école internationale d’été (Marseille, 2-14 septembre 2013), a répondu à cette question, dans l’esprit qui est le sien : elle a déployé l’éventail de ses analyses et de ses problématiques pour les inscrire dans le contexte des lieux culturels singuliers où s’implémentent les offres et les pratiques culturelles.

Les historiens, anthropologues, sociologues, économistes et géographes qui ont participé à l’édition 2013 ont ainsi proposé des grilles d’analyse prenant à contre-pied les lectures les plus attendues. Faisant émerger de nouvelles intelligibilités, les dix conférences proposées cette année ont d’abord pratiqué le jeu d’échelles — en problématisant le télescopage du management et de la culture, comme Ève Chiapello, en interrogeant les fondements d’une géographie culturelle de la ville, comme Boris Grésillon, d’une critique des potentialités économiques de la culture, comme Françoise Benhamou ou en proposant une « sociologie de l’infiniment petit » qui puisse décrire les rapports à la musique en situation urbaine, comme Anthony Pecqueux. Ils ont mobilisé différentes traditions de recherche propre à un domaine disciplinaire : Florent Champy, Dominique Pasquier ou Emmanuel Pedler ont ainsi approfondi trois courants de la sociologie de l’art et de la culture proposant l’exploration de nouveaux paradigmes. Ils ont tous imbriqué et articulé les ressources de plusieurs disciplines et l’inscription historique de leurs problématiques et terrains, comme en témoignent les conférences d’Irène Théry ou de Cesare Mattina ou encore les analyses, pensées sur la longue durée, de Jean Boutier.

Tout au long de ce cheminement, chaque journée a donné l’occasion d’explorer, sans la désarticuler artificiellement, l’alliance indispensable de la recherche et de ses terrains d’enquête. L’école d’été a ainsi proposé une exploration extensive de la ville, en la parcourant du centre — le MUCEM, les Archives départementales des Bouches-du-Rhône, le théâtre national de la Criée ou la Chambre de Commerce et d’industrie — vers la périphérie, d’est en ouest — du cinéma l’Alhambra inscrit dans les quartiers excentrés et souvent stigmatisés des 15e et 16e arrondissements de Marseille à l’École Supérieure d’art et de design de Marseille jouxtant les calanques situées aux confins sud de la ville, à l’entrée du tout récent parc national. Offrant le privilège d’un accès aux « arrières salles » des institutions, chacune des journées a permis de programmer des entretiens avec les acteurs majeurs des institutions d’accueil. L’occasion était donnée de dialoguer avec le directeur stratégie et communication de la Chambre de Commerce et d’industrie Marseille Provence, Laurent Carenzo, ou avec le Directeur adjoint de Marseille Provence 2013, Ulrich Füchs, ou encore avec l’architecte Corinne Vezzoni qui a conçu le bâtiment des Archives départementales des Bouches-du-Rhône. Les après-midi ont ainsi offert l’opportunité d’explorer sous divers angles le fonctionnement d’institutions sur lesquelles portait la conférence de la matinée : répondant en écho, à la conférence de Dominique Pasquier qui traitait de la dimension sociale des fréquentations théâtrales, la visite de « la fabrique » — lieu d’élaboration des spectacles du théâtre National de la Criée — pilotée par le directeur technique de l’institution Yves Giacalone s’est prolongée par l’exploration des ressorts de ses programmations 2012-13 et 13-14 (avec le directeur des programmes, Tristan Bourbouze), des logiques de son administration (grâce à la présentation éclairée de son administrateur Alexandre Madelin et des multiples opérations en direction des publics et des cercles de spectateurs impliqués (avec Laura Abécassis, responsable des relations avec les publics).

Les explorations de la ville se sont poursuivies avec Cesare Mattina qui a guidé les étudiants à la découverte du projet d'aménagement urbain Euromed 2, jusqu’au marché aux puces. Philippe Gaboriau a organisé une journée de marche « sociologique » dans le centre ville de Marseille autour de la notion de « dérive », chère aux situationnistes. Enfin, Hendrik Sturm, artiste-promeneur et enseignant à l’École des Beaux Arts de Toulon, a organisé une marche dans le vaste territoire de garrigue du plateau d’Arbois. Cet espace, situé entre Marseille, Aix-en-Provence et l’Étang de Berre qui semble « désert » est pourtant investi par des fonctions urbaines importantes. Les participants à l'école d'été ont ainsi pu emprunter le GR 2013, un parcours de grande randonnée de 360 km, qui est l'une des productions « pérennes » de Marseille-Provence 2013, Capitale Européenne de la Culture.