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La Lettre n° 63 | Échos de la recherche
par Jean-Pierre Nadal

De la diversité des humanités numériques : une exploration des pratiques

Lundi 25 mars 2013 de 9h à 18h45, à l’EHESS, journée d’étude organisée par la CUTICE dans l’amphithéâtre François-Furet.

Depuis une dizaine d’années, les humanités numériques se sont développées dans les différents centres de l’EHESS, en rendant manifestes des changements assez profonds dans les rapports aux textes, aux archives, aux images, aux données, et en favorisant l'usage de nouveaux instruments, de l’émergence des outils collaboratifs en ligne jusqu’aux nouvelles formes de modélisation pour les enquêtes de sciences sociales. Cette journée avait pour but de rendre visible l’ensemble des pratiques et des outils et d’ouvrir une discussion interdisciplinaire sur les perspectives de recherche et de développement à court et moyen terme.

En guise d’ouverture, les enjeux des humanités numériques pour l’EHESS ont été exposés par Philippe Casella, directeur du développement de la recherche. Au cours de la journée, la présentation d’un large éventail de pratiques numériques a permis de croiser des regards internes et externes à l’EHESS, en mobilisant des expériences très diverses. Face à cette diversité, il convenait de s’interroger sur le réseau conceptuel appelé par la notion même de « numérique » ainsi que sur la généalogie des techniques ou des technologies engagées dans le monde des humanités numériques. La conférence inaugurale d'Éric Guichard (ENSSIB, Lyon) a permis de bien poser les problèmes, en rappelant l’ambiguïté des deux termes, « numérique » et « humanités », et en resituant le développement de la culture numérique dans une perspective historique, celle de l’évolution de l’écriture comme « technique intellectuelle ».

L'importance de développer des archives électroniques a été remarquablement exposée par Marie Laperdrix, à partir d’une présentation de la démarche suivie aux Archives nationales. Christian Jacob (CLEO, EHESS, et atelier numérique du LabEx Hastec) a montré pour sa part comment les technologies numériques n’affectent pas seulement la matérialité et la réception des livres et des revues, mais invitent aussi à imaginer de nouvelles modalités de construction et de publication des savoirs, en redéfinissant les rapports entre écriture et lecture.

À la pointe des innovations et des questionnements qui marquent le domaine depuis plusieurs années, Aurélien Berra, Marin Dacos et Pierre Mounier (CLEO, CNRS-EHESS-Aix-Marseille Université-Université d'Avignon) ont fait le bilan du séminaire « Digital Humanities » à l'EHESS, lieu de débat sur le développement des humanités numériques et les différentes orientations ou courants qui s’y affirment.

Dominique Cardon (CEMS, EHESS & orangelab) a quant à lui présenté une réflexion sur la manière dont les algorithmes, et en particulier les algorithmes des moteurs de recherche, configurent les pratiques tout en révélant des manières différentes de concevoir les logiques de classement (PageRank), avec la montée en puissance récente des classements affinitaires personnalisés, comme le « Fil d’actualité » (newsfeed) de Facebook ou la « Chronologie » (timeline) de Twitter.

Franziska Heimburger (CRH, EHESS) a présenté un travail collaboratif original illustrant les potentialités du numérique au profit d’un projet bibliographique majeur. Ce travail sert d’exemple pédagogique pour de nombreux étudiants à l’EHESS.

L’Environnement Numérique de Travail (ENT) à l'EHESS a fait l’objet d’une brève présentation par Marie-Anne Marquet (SIGA, EHESS).

La seconde demi-journée a débuté avec les systèmes d’information géographique (SIG) et la télédétection, d’importance grandissante dans toutes sortes de disciplines des SHS. Tout en soulignant la puissance et la finesse des instruments contemporains, Rachid Ragala (CAMS, EHESS) a montré l’importance de la prise en compte de l’histoire, même très ancienne, pour la compréhension de l’extension actuelle d’une ville telle qu’elle est révélée par les SIG.

Francis Chateauraynaud et Josquin Debaz (GSPR, EHESS) ont présenté les recherches qu’ils mènent au cœur de la sociologie des controverses, à partir des différents instruments socio-informatiques destinés à construire, analyser et partager d’importants corpus évolutifs. Ils ont particulièrement insisté sur le logiciel Marlowe, dépeint comme une « contre-intelligence artificielle », qui, outre diverses interventions publiques depuis 2003, produit quotidiennement une chronique de l’actualité sur son blog. En contrepoint, David Chavalarias (CAMS, EHESS) a exposé une démarche quantitative cherchant à suivre et représenter visuellement, de manière automatique, l’évolution de sujets dans un media donné (la presse, les journaux scientifiques, la « blogosphère »). Les deux exposés précédents illustrent de manières très différentes la question de l’exploitation, pour des problématiques de sciences sociales, des masses de données (Big Data) auxquelles nous avons accès, et mettent en lumière l’intrication entre démarche conceptuelle, développement d’algorithmes, exploitation d’outils technologiques.

La diversité des pratiques a également été évoquée à travers une approche ethnographique menée par Jean-Christophe Plantin (UTC, Compiègne), avec l’étude de plusieurs laboratoires, chacun d’eux novateurs dans la manière d’aborder les humanités numériques. Tout en présentant ses travaux sur les formes de culture visuelle, André Gunthert (INHA, EHESS) a conclu la série d’exposés par l’explicitation d’une controverse touchant aux droits d’auteurs sur Internet, posant la question du statut juridique de l’image. Il a développé un plaidoyer fort convaincant visant à donner à l’usage d’une image sur un support numérique du Web (site, blog de recherche ou revue électronique) un statut analogue à celui d’une citation dans un texte scientifique.

Enfin une table ronde pilotée par Franziska Heimburger (CRH, EHESS) autour des attentes des étudiants a montré l’importance des enjeux auxquels l’École est confrontée pour donner aux nouveaux entrants les moyens non seulement de dominer les outils les plus récents, mais aussi d’innover et de contribuer eux-mêmes au développement des humanités numériques. Patrick Fridenson (CRH, EHESS), Président de la CUTICE, a clos la journée.

Une journée sur le même thème sera organisée l’année prochaine. Cette seconde édition donnera la parole à d’autres composantes des humanités numériques qui n’avaient pas pu être représentées ce 25 mars. Elle devrait aussi permettre de faire le point sur les nouvelles avancées, tant à l’EHESS qu’ailleurs, et ouvrir davantage le débat sur des questions de fond autour de la nature des humanités numériques, leur évolution rapide par les innovations permanentes issues de toutes disciplines, tant du point de vue technique et technologique, que de celui des pratiques.

Cette journée était proposée par la Commission des usagers des technologies de l’information et de la communication électronique de l’EHESS (CUTICE). Les organisateurs remercient tous les orateurs, les présidents de séance, les services de logistique et de l’audiovisuel de l’EHESS ainsi que le secrétariat du CAMS, et tous les participants qui ont contribué très activement au succès de la journée par leurs questions. La vidéo de la journée sera bientôt disponible.

Comité d’organisation: F. Chateauraynaud, P. Fridenson, J.-P. Nadal.

Contact : jpnadal@ehess.fr