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La Lettre n° 62 | Échos de la recherche
Hans Magnus Enzensberger
Hans Magnus Enzensberger
Crédits : J. Rakete / Photoselection
par François Hartog

La 35e Conférence Marc Bloch

Je suis heureux que Hans Magnus Enzensberger ait accepté notre invitation de prononcer la 35e Conférence Marc Bloch. D’Allemagne, sont venus avant lui, Reinhart Koselleck, en 1993 et Jan Assmann, en 1999. Il sera donc le troisième conférencier allemand.

Pourquoi l’avoir sollicité ? Il y a trois raisons au moins. La conjoncture : à un moment où s’écrivent et se disent pas mal de sottises sur l’Allemagne et la France, donner la parole à un grand intellectuel allemand, observateur lucide et critique de son temps, ne me paraît pas une mauvaise action. Son œuvre imposante et multiforme (de la poésie à l’essai, en passant par le roman et les livres pour enfants). S’y ajoute, enfin, une raison plus précise : sa biographie récente du général Kurt von Hammerstein et de sa famille (Hammerstein ou l’intransigeance, Une histoire allemande, Gallimard, 2010). Très intéressant à bien des égards, ce livre est aussi une contribution originale à un débat en cours depuis quelques années (et parfois un peu trop franco-français) sur la question de la littérature et de l’histoire.

Dans ce livre, Enzensberger annonce clairement qu’il ne s’agit pas d’un roman. De fait, il y a une part d’enquête et de documentation historique tout à fait réelle : il a mené des entretiens avec les membres de la famille encore vivants, il a consulté des archives un peu partout et, notamment, à Moscou ; il a lu tout ce qu’on a pu écrire sur Hammerstein et autour. Le livre a, certes, paru en France, dans une collection de fiction, mais le lecteur trouve à la fin un index et un répertoire des sources, avec la liste des archives et la bibliographie. Et il ne s’agit pas d’un artifice littéraire pour faire croire que.

L’écart par rapport à un roman de facture classique se marque dans la construction du récit : par la manière de conjuguer différents registres. Il y a celui du récit proprement dit, puis celui des « gloses », à savoir les commentaires faits par l’auteur et en son nom, à partir de ce qu’il a lu, entendu et compris, et, enfin, avec chacun des principaux personnages, celui de conversations posthumes, qui sont une reprise de l’ancienne forme littéraire du Dialogue des morts. Ainsi, Enzensberger distingue bien les plans : entre ce qu’il a trouvé en enquêtant et ses propres prises de position. Sa manière de mettre en scène les personnages dans des conversations posthumes, en tenant naturellement compte de ce qu’il sait, mais sans laisser le moindre doute sur le fait que c’est lui qui formule les questions et énonce les réponses, montre qu’il ne se donne pas comme historien, mais bien comme écrivain. Par sa façon de traiter littérairement un objet historique (une biographie), il montre qu’on peut articuler littérature et histoire. En accordant une place clairement délimitée au vraisemblable, à aucun moment il ne brouille la frontière entre les deux.

D’où, probablement, le titre qu’il a donné à sa conférence « L’histoire et les histoires ».