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La Lettre n° 62 | Échos de la recherche
Bruno Karsenti
Bruno Karsenti

L’Encyclopédie des sciences historiques et sociales du politique

Entretien avec Frédérique Matonti et Bruno Karsenti

Propos recueillis par Élisabeth Kozlowski.

Quel est la finalité de cette Encyclopédie des sciences historiques et sociales du politique ?

L’Encyclopédie a d’abord été conçue comme la vitrine visible du LabExTEPSIS. Les chercheurs qui appartiennent à TEPSIS sont membres de treize UMR ou EA, relèvent de plusieurs établissements, appartiennent à des disciplines différentes (sociologie, science politique, histoire, philosophie, anthropologie principalement) et travaillent sur la quasi totalité des régions du monde –on y trouve aussi bien des spécialistes de l’Afrique ou de la Russie que de l’Europe. Mais ils ont en commun de s’intéresser au politique au sens large et de le faire avec les méthodes et les concepts des sciences sociales et historiques. L’Encyclopédie sera l’occasion d’entrer dans le lieu de fabrication des outils, méthodes et concepts que mobilisent ceux qui abordent par différents biais disciplinaires le politique.

Qu’est-ce qui la démarquera des encyclopédies déjà existantes ?

On pourrait dire plutôt qu’il y a des entreprises qui nous ont inspirés. C’est le cas, bien sûr, de l’histoire des concepts et du Geschichtliche Grundbegriffe, impulsés par Koselleck, Brunner et Conze, de l’École de Cambridge et de son débouché éditorial (la collection « Ideas in context »), de la Stanford Encyclopedia of Philosophy, centrale pour la philosophie analytique, ou encore du Lessico Politico Europeo, paru au cours des quinze dernières années en Italie. Nous avons été aussi inspirés par les publications de l’EHESS qui ont fait date comme L’histoire de la France Urbaine ou Faire de l’histoire, prolongées tout récemment par les trois volumesFaire des sciences sociales. Toujours est-il qu'il n’y a pas eu jusqu’à présent de tentative de reprendre le travail spécifique des sciences sociales et historiques dans leur créativité conceptuelle et méthodologique propres, à propos du politique. Il faut le faire, parce que le politique n’est pas pour les sciences sociales un objet sectoriel. D’un certain point de vue, on peut dire que le fait d’avoir redéfini le politique autrement que le droit, la philosophie et les sciences administratives, a été pour les sciences sociales presqu’un acte inaugural, dans les traditions allemande, française ou anglaise. Refaire ce geste, mais aussi s’interroger et suivre la façon dont il se poursuit actuellement et se renouvelle en permanence, c’est ce que nous voulons faire.

Par qui sera-t-elle alimentée ?

Elle le sera principalement par les chercheurs et enseignants chercheurs membres de TEPSIS, mais aussi par ceux qui, en France, ou à l’étranger, seront les plus compétents pour traiter d’une « entrée ». Il ne s'agira pas simplement de recueillir une recherche déjà faite, ou de dresser un bilan, mais de contribuer au mouvement en cours, voire d'impulser des lignes que les différentes démarches, lorsqu'elles demeuraient isolées, ne voyaient pas forcément se dessiner. Sa vitalité dépendra en grande partie de la volonté des chercheurs de participer à la confrontation. Dans un premier temps, il s'agit pour nous d'en organiser les conditions. Et par là de donner aussi aux sciences sociales un moyen pour prendre mieux conscience du travail qu'elles conduisent et aussi de leur fonction dans la société.

Quelle approche commande son organisation interne ?

L'organisation interne se veut le reflet du processus de recherche en cours, dont elle ne propose pas une photographie arrêtée, mais une forme originale d'accompagnement. On évitera donc l’organisation alphabétique ou par champs de recherche au profit de rubriques problématisées qui constitueront autant de perspectives sur les sciences historiques et sociales en train de se faire. Caractérisée par la production immanente de concepts, méthodes et traditions spécifiques à chaque discipline, leur recherche s’est élaborée au cours du temps en affrontant des problèmes épistémologiques, empiriques et politiques. C’est cette complexité qu’il faudra restituer. Ainsi, plutôt que le traditionnel article sur l'État, il est clair qu'on préférera une entrée sur l'État-providence, l'État social ou encore l'État totalitaire. Mais aussi sur des variations de la forme-État à l'œuvre dans des concepts tels que ceux de gouvernementalité, ou de pouvoir symbolique, ou de bureaucratisation.

À quel public s’adresse cette Encyclopédie ?

Elle est destinée aussi bien aux chercheurs, aux étudiants, qu’aux experts, responsables politiques, journalistes et, plus généralement, au grand public cultivé, selon la formule consacrée. En restant au plus près de la recherche en train de se faire, on voudrait justement la rendre aussi plus proche et plus facile d’accès pour les acteurs de la société civile. C’est une illusion ou une erreur de croire que seule la vulgarisation peut permettre d’arriver à cette fin. On sait bien que les choses doivent être prises autrement, à partir du moment où le chercheur en sciences sociales est lui-même exposé – et il l'est par nature –à la formation des problèmes par les acteurs. L'idée d'un « carnet de recherche », alimenté par des chercheurs prenant des positions dans des débats du moment, et par des acteurs sociaux impliqués dans ces mêmes débats, carnet qu'on voudrait intégrer lui aussi à l'Encyclopédie, devrait permettre de rendre la recherche plus réceptive aux questions qui, pour le dire vite, émergent dans la société, et en même temps, de permettre aux lecteurs de passer d'un niveau plus spécialisé et théorique à un niveau plus situé.

L’Encyclopédie sera-t-elle accessible à tous ?

Elle sera en ligne et en accès libre, et donc ouverte à tous. L'organisation du débat sera évidemment filtrée. Il faut éviter l'empilement des réactions ponctuelles et peu articulées, et encourager au contraire la confrontation exigeante. L'important est d'exploiter toutes les potentialités de l'édition on-line. Elle nous permettra de présenter l'éventail le plus large des formes de travaux: outre le corps des notices, on trouvera des archives, des carnets de terrain, des interviews ou des cours filmés.