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La Lettre n° 31 | Dans les centres et les services | Disparitions
Bernard Derouet

par Alain Guéry

Bernard Derouet

Bernard Derouet est décédé dans la nuit du jeudi 25 au vendredi 26 février dernier. Ancien élève de l'école normale supérieure de Saint-Cloud, il était chargé de recherches au Centre national de la recherche scientifique, en poste au Centre de recherches historiques. Il a fait partie de la grande cohorte des historiens du monde rural qui ont marqué l'École des Annales pendant tant d'années. Il était plus préoccupé par l'étude des grands mouvements démographiques, économiques et sociaux, envisagés dans la longue durée, que par celle des événements plus ou  moins retentissants de temps court. Il avait commencé ses recherches par la démographie historique, se faisant connaître par un travail montrant que sous l'Ancien Régime déjà, on pouvait déceler des régimes démographiques socialement différenciés au sein d'une même population. Dans ce travail neuf, il faisait déjà montre de deux qualités personnelles qu'il mettra en œuvre tout au long de sa carrière d'historien : une observation méticuleuse des données et une analyse fine lui permettant des résultats neufs.
Bernard Derouet était entré au CNRS sur la base d'un projet de recherche original mariant l'anthropologie historique alors balbutiante et un intérêt alors nouveau des historiens non juristes pour le droit ancien. L'inspiration lui en était venue à la lecture d'un article publié par Emmanuel Le Roy Ladurie dans les Annales de 1972 sur « Le système de la coutume ». Cet article avait marqué nombre d’historiens du monde rural, mais la difficulté pour aller au delà tout en suivant son exemple venait de l’acquisition nécessaire de la connaissance du grand corpus des anciennes coutumes françaises. Bernard Derouet a su faire cet effort et pu ainsi se lancer dans l’étude spécifique de la transmission des patrimoines dans le monde rural ancien, à partir de l'examen détaillé de ces coutumes et des commentaires savants de tous ordres qu'elles ont suscités, depuis le moment de leur rédaction au xvie siècle jusqu'aux lectures qu’en ont faites les anthropologues et les historiens du droit des xixe et xxe siècles.
Il est ainsi devenu sans doute l'un des meilleurs connaisseurs de cette littérature juridique ancienne, dont il a su tirer parti pour une approche originale des modalités de la reproduction sociale et du lien de celle-ci avec les mobilités d'Ancien Régime. Ses articles, ses contributions à divers colloques d'histoire économique – les deux derniers à Helsinki en 2006 et à Lisbonne en 2008 – ses participations aux enquêtes et aux séminaires du Centre de recherches historiques, en particulier celui animé par Joseph Goy, témoignent de la fécondité de son approche, de sa sensibilité à la variété, à la diversité et à la complexité des sociétés anciennes dans leur manière de se maintenir et de tenter d'assurer leur devenir en même temps. Les récentes séances de séminaires de l’EHESS qui ont été entièrement consacrées à ses modèles d'articulation de la transmission du patrimoine avec les systèmes de parenté ont montré que ses travaux sont devenus incontournables pour tous les historiens des sociétés traditionnelles. Ils participeront encore longtemps d’une histoire sociale qui sait toujours se renouveler, en aidant à ce renouvellement.