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La Lettre n° 57 | Échos de la recherche
Un programme annuel de séminaires sur le Brésil d’Ancien Régime
Planche 14 de l’Americae Tertia Pars
par Jean-Frédéric Schaub

Un programme annuel de séminaires sur le Brésil d’Ancien Régime

La recherche en histoire sur l’Ancien Régime a pris un tournant au cours des vingt dernières années. L’investissement des corps sociaux dans les finances des monarchies, c’est-à-dire dans la dette consolidée de la royauté ; la puissance politique des institutions religieuses et l’actualité de leur appareil dogmatique ; la pluralité des sources et des formes du droit ; la maîtrise des territoires comme expression de l’autorité princière ; la superposition de plusieurs régimes de production et de réception des textes et des images ; la rivalité entre les institutions prescriptrices du goût dans une économie diversifiée de la consommation : autant de fronts de travail sur lesquels de nombreux chercheurs, et notamment à l’École, ont fait avancer de façon décisive nos outils d’analyse et nos connaissances sur les sociétés d’Ancien Régime.

De la Renaissance aux Lumières, il semblait entendu que l’étude des caractères singuliers des sociétés d’Ancien Régime s’appuyait sur des terrains tous situés en Europe occidentale. Sans doute, les historiens modernistes de l’Europe n’ignorent-ils plus que l’intelligence de leurs objets requiert une attention, ne serait-ce que complémentaire, à l’égard des expansions coloniales et des structures impériales qui ont pesé sur la formation de l’Europe. Cependant, l’hypothèse que les sociétés coloniales dominées par des européens puissent être des lieux d’observation pertinents pour mieux comprendre les sociétés antérieure aux Révolutions libérales est longtemps demeurée absente de nos débats. On peut le comprendre. En effet, la transposition outremer d’institutions européennes n’a pas reproduit outremer des morceaux d’Europe. La composition des populations en situation coloniale déterminait des dynamiques sociales singulières : poignées de Portugais négociant une présence territoriale dans une Inde immense ; Espagnols des Andes instaurant une « république » séparée des Indiens ; les compagnies françaises de Sénégambie impuissantes à pénétrer le continent ; maîtres des plantations américaines recréant un semblant de sociabilité européenne dans un environnement peuplé aux neuf dixièmes d’esclaves africains ; et partout, des métis aux statuts et au prestige social des plus divers. Autre écart fondamental : la maîtrise territoriale s’exerce dans les espaces américains à des échelles inconnues de l’Europe occidentale.

Pourtant, l’intensité de la communication qui, dès l’origine, s’est établie entre métropoles et colonies, par la circulation des hommes, des biens et des informations, invite à ne pas s’arrêter à l’inventaire des différences entre les territoires. L’économie de la dette consolidée, la pluralité juridique, l’investissement des groupes dans les institutions royales, l’encadrement religieux des dynamiques politiques, la formation des grands systèmes philosophiques et scientifiques, la diversification des ressources imaginaires et esthétiques: tous ces processus se sont également joués aux colonies, lointaines ou proches. Si l’on accepte cette hypothèse, c’est pour avancer que les sociétés des outremers participent de la dynamique générale de la formation des sociétés d’Ancien Régime, sans reproduire l’existant, sans jouir d’une complète autonomie, mais en enclenchant dans leur environnement propre des processus qui appartiennent à la même histoire que celle, classique, de l’Ancien Régime.

C’est sur cette base que les historiens brésiliens spécialistes de la période coloniale ont profondément modifié et enrichi notre perception des dynamiques socio-politiques d’Ancien Régime. Un phénomène éditorial comme la publication d’une version brésilienne de l’Histoire de la Vie Privée atteste de cette volonté de ne pas cantonner l’objet même dans un marginalité coloniale. Cette volonté n’a pas pour conséquence de minimiser l’un des traits les plus déterminants de l’évolution de l’Amérique portugaise : l’esclavage massif des noirs d’Afrique et des populations indigènes. Mais, à rebours, la façon dont cette société centralement esclavagiste a participé de l’ordre politique européen de son temps invite à interroger la société d’Europe elle-même. Une société où, certes, l’homme africain était moins présent, sans commune mesure, mais où le travail non-libre et même le fait servile étaient ordinairement admis. De même, si les sociétés des XVIe-XVIIIe siècles sont ordonnées à des règles de droit qui admettent la diversité des cas et la concurrence même des normes entre elles, alors les territoires coloniaux ouvrent encore l’éventail des possibles. Telles sont quelques-unes des grandes questions qui organisent les discussions, parfois les confrontations, dans l’historiographie brésilienne actuelle.

Parce que nous sommes persuadés que la recherche conduite au Brésil dans ces domaines présente aujourd’hui un ensemble extraordinairement riche de propositions et d’hypothèses de travail, nous avons souhaité bâtir un programme qui offre l’occasion de débattre de façon suivie et cohérente de travaux conduits par des chercheurs brésiliens sur ces questions. Dans la mesure où l’histoire coloniale de l’Afrique devient un front pionnier de l’historiographie moderniste brésilienne, nous avons tenu à discuter également les travaux en cours sur l’Angola à l’époque moderne.

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