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La Lettre n° 57 | Vie de l'École
Inauguration de la salle Jean-Pierre Vernant, le 21 novembre 2012
Crédits : Laurent Dappe
par François Hartog

Inauguration de la salle Jean-Pierre Vernant

Propos de François Hartog

Imaginons dans 60 ans, un chercheur ou une chercheuse faisant une histoire de l’École ou d’un moment de l’École. Il finirait par trouver dans les archives, à Condorcet ou ailleurs, que, en 2012, pendant quelques mois, il y a eu un intérim de la présidence. Pourquoi donc ? Admettons qu’il trouve également, et sans trop de difficultés la réponse. Mais alors, viendrait la question : qu’a donc fait ce président par intérim, un historien qui s’intéressait à ce qu’on appelait curieusement alors historiographie ? Après avoir un peu cherché, il serait bien obligé de conclure : rien, rien, en tout cas, qui ait laissé des traces. Ou plutôt, une seule chose : il a inauguré une salle à la mémoire de Jean-Pierre Vernant, dans le bâtiment que l’École s’était alors trouvé occuper pendant quelques années, non loin de la BNF.

Encore ne serait-ce pas tout à fait exact, et on voit bien, une fois de plus, que les archives ne peuvent tout dire, car la décision de donner le nom de Vernant à cette salle avait déjà été prise auparavant par François Weil, quand il était président. Il m’avait alors fait l’amitié de me consulter. Je n’ai donc fait (comme César faisant son pont) que remplacer la feuille de papier, jusqu’alors apposée sur la porte de la salle, par une plaque en aluminium brossé, avec le nom de Jipé gravé dessus.

Mais j’arrête là mon ébauche de fiction historique pour en venir à celui qui nous réunit ce soir. Changeons de registre et imaginons, pour quelques instants, un dialogue des morts, un peu dans la manière de Lucien, parler, en effet, de Nekuia serait trop pompeux pour le bref échange peu sérieux qui suit.

– Jipé, la première question que j’aimerais te poser, c’est que penses-tu de cette idée ?

– Écoute voir, mon grand, commencerait-il, puis après un petit temps de silence et me regardant bien en face, je ne crois pas qu’il faille y accorder une importance excessive ».

– Mais enfin, tu sais combien il y a désormais de salles ou de lieux qui portent ton nom ?

– Je ne suis pas sûr de l’avoir jamais su. Ah, si, il y a la salle d’honneur du lycée Pierre-de-Fermat, à Toulouse, mon ancien bahut. Là, j’y étais, c’était en 2004, pour le 60e anniversaire de la Libération, je m’en souviens, et puis à Toulouse, tu comprends. Même que, pendant mon discours, ça me revient, cet abruti de Douste-Blazy avait glissé à son voisin : « Croyez-en mon œil de médecin, cet homme ne peut avoir 90 ans ! ».

– Oui, cette histoire nous avait fait bien rire quand tu l’avais racontée à ton retour, nous étions tous sur la plage de Samzun. Mais je vais quand même t’en donner la liste à ce jour.

– Dis voir un peu.

– Toujours à Toulouse : il y a un collège et un groupe scolaire primaire. À Sèvres, ta ville, le lycée. Sans oublier la grande salle du théâtre de Montreuil où tu as souvent pris la parole. Une salle, au lycée Le Corbusier à Aubervilliers, là même où tu as donné ta dernière conférence sur Ulysse. C’était l’ultime engagement que tu tenais à honorer, et ça n’a pas été une partie de plaisir. Existe d’ailleurs un enregistrement extraordinaire de ce moment.

– Tout cela me paraît peu contestable. Après, tu le sais comme moi, tout dépend de l’usage qu’on fait de ces noms…

– Justement, que l’École, où tu es entré en 1958 et où tu es resté présent jusqu’à ta retraite du Collège de France et même après, souhaite reconnaître le résistant et le savant, n’est-ce pas la moindre des choses ? Et quand je dis savant, mot trop convenu, je veux dire, en fait, un style de travail, le tien et celui que tu as su dispenser, insuffler autour de toi, quand tu as fondé le Centre de recherches comparées sur les sociétés anciennes. Plus qu’un moment de l’École, c’est saluer une façon de mettre en pratique ce que voulait être l’École et de nous le rappeler, de l’inscrire sur notre porte, puisque, dans cette salle, dite salle de la présidence, se tiennent, jour après jour, beaucoup de nos réunions.

– Bon d’accord, je comprends mieux.

– Mais, avant de nous quitter, j’aimerais que tu me racontes ton élection à l’École. Tu le sais peut-être, on parle pas mal ces temps-ci, entre nous, de procédures électorales.

– Première nouvelle ! Mais il est vrai qu’à y repenser mon élection n’est pas dépourvue d’une certaine cocasserie ! Mais tu sais tout ça. Arrête-moi, si je radote.

– Ce n’est pas seulement l’anecdote qui m’intéresse, tu vois bien quelle est la question qu’il y a derrière : serions-nous capables aujourd’hui d’élire un Jipé Vernant ? Un homme qui, en 1958, a 44 ans et qui publiera son premier livre, Les origines, en 1962, livre qui lui a été commandé par Dumézil ? C’était d’ailleurs pas mal vu de la part de ce dernier. « Tout est différent », me répondras-tu. Certes, mais je suis sûr que tu vois, malgré tout, ce que je veux dire.

– Je crois que oui, mon grand.
Suit un extrait de quelques minutes d’un entretien de Jean-Pierre Vernant avec Christine Delangle, archiviste du Collège de France.