Navigation – Plan du site
La Lettre n° 57 | Échos de la recherche
par Anne Madelain

Les mutations « du livre » de sciences humaines vues depuis Francfort et Belgrade

La 64ème édition de la Foire internationale du livre de Francfort (10-14 octobre 2012) s’est fait l’écho du contexte de crise, avec une réduction de l’espace d’exposition, des avaloirs en baisse pour les cessions de droits de traduction et des annulations de dernière minute. Dans ce climat, le développement du numérique fait l’objet de toutes les attentions. Les représentants des portails et autres diffuseurs numériques sont de plus en plus présents et les droits étrangers ne se négocient plus sans volet numérique, remettant en cause la notion « d’espace de diffusion » et des hiérarchies souvent bien établies entre éditeurs des métropoles et anciennes colonies. Il continue aussi d’ébranler un peu plus la réalité du « livre » dans les échanges internationaux, pour le remplacer par la notion ambigüe de « contenu ».

Ces préoccupations ont aussi animé la réunion annuelle de la jeune Association européenne des presses universitaires (AEUP), où les Éditions de l’EHESS étaient représentées. Quelle sera à l’avenir la place des presses universitaires dans un contexte dominé par le numérique, face à l’édition commerciale qui abandonne peu à peu la transmission « académique » des savoirs et au monde de la recherche qui préconise de plus en plus « le libre accès », sans avoir souvent les moyens d’une large diffusion ?

Pour les Éditions de l’Ecole comme pour les éditeurs susceptibles de traduire nos titres en langues étrangères, les projets de traductions requièrent du temps et souvent la recherche de fonds complémentaires. Il est donc rare que des contrats de traduction se négocient à la Foire de Francfort. Néanmoins, la participation au rendez-vous annuel de l’édition, sur le stand collectif du Bureau international de l’édition française (BIEF) est l’occasion privilégiée d’entretenir des contacts réguliers avec des éditeurs partenaires et d’en rencontrer de nouveaux, ainsi que d’autres professionnels de l’édition, en particulier des agents et les représentants des portails numériques. Parmi les projets nouveaux présentés cette année, notons le triptyque Faire des sciences sociales, ainsi que la collection « Audiographie » qui suscite toujours un grand intérêt auprès de nos confrères étrangers (il y a dix traductions en cours du livre de Michel Foucault Le beau danger, sorti en novembre 2011). La demande en traduction est actuellement forte dans le monde arabe, la Turquie et l’Amérique du sud.

Le numérique redistribue aussi radicalement les cartes dans un pays comme la Serbie : c’est le constat dressé par la « Rencontre des sciences humaines » consacrée aux circulations européennes organisée à l’occasion de la Foire annuelle du livre (20-28 octobre 2012) par l’Institut français de Belgrade, des débats entre éditeurs et universitaires français, serbes et croates, auxquels l’EHESS et ses éditions ont activement participé. Les frontières nouvelles entre les ex-républiques yougoslaves ont du mal à tenir face aux circulations numériques. Le marché du livre ne s’est pourtant pas remis de la division sanglante du pays. Paradoxe d’une globalisation, qui s’accompagne d’une provincialisation plus que d’un accès à l’universel. Dans cette situation, le travail d’éditeur de sciences humaines s’apparente selon le philosophe et éditeur zagrebois Peter Milat « à un travail de contrebandier de la culture ». La rencontre de Belgrade préfigure un rendez-vous européen plus important qui devrait se tenir en 2013 à la conception duquel les Éditions de l’École, fortes de leur expérience dans la réflexion sur l’édition de SHS, seront associées.