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La Lettre n° 56 | Échos de la recherche
Laurent Berger, élu maître de conférences par l’assemblée des enseignants en juin 2012

Anthropologie de la mondialisation capitaliste : globalisation des échanges et changement social dans l’Océan Indien occidental

par Laurent Berger, élu maître de conférences par l’assemblée des enseignants en juin 2012

Mon projet de recherche et d’enseignement en anthropologie s’attelle à développer les outils théoriques et méthodologiques pour circonscrire et rendre intelligible « au ras du sol » la mondialisation capitaliste, dans un cadre comparatif élaboré à partir d’une étude de cas malgache. Cette dernière portait sur la double confrontation d’une royauté sacrée à l'implantation d'un holding multinational contrôlé par la diaspora indienne kodja et financé par la Banque Mondiale, et à l'arrivée de mouvements religieux réformistes chrétiens et musulmans.

Ce projet privilégie quatre axes d’investigation et d’analyse complémentaires :

Le premier porte sur les processus de globalisation entre localités, provinces, régions et/ou continents. La difficulté est de rendre compte de l’expansion géographique des interconnexions entre sphères d’activités sociales, et de l’accroissement en vitesse et en volume des flux de capitaux, d’idées, d’images, de populations, et de biens et services véhiculés par les technologies de transport et de communication. Le problème est donc d’identifier où, comment, et par qui se mettent en mouvement ces flux, s’établissent et s’organisent ces interconnexions, s’aménagent ces échelles spatio-temporelles au sein desquelles cette circulation et cette articulation sont rendues possibles.

Le second axe concerne la nature des processus de mondialisation. La difficulté est relative à la description des types de changement social associés à la globalisation, et des transformations structurelles qui modifient les conditions d’exercice des activités sociales reliées par ces flux. Le problème est donc de savoir pourquoi, où, et comment émergent et disparaissent des principes de coordination et de régulation des différentes sphères d’activités ainsi interconnectées.

Le troisième axe traite de la méthode propre à l’ethnographie globale et des dispositifs d’enquête qui la constituent. La difficulté est d’articuler ensemble les techniques d’investigation les plus à même de décrire ces interconnexions et ces flux, et d’investir les situations sociales où sont en jeu les types de changement social relatifs à cette mise en relation. Le problème est donc de recourir à une méthodologie déployant l’observation participante au croisement des temporalités et au cœur des jeux d’échelles constitutifs de la mondialisation.

Le quatrième axe compare en sciences sociales l’impact des théories de la mondialisation sur le choix prioritaire des pratiques et des terrains pris comme objets d’étude empirique. La difficulté est d’évaluer la manière dont la sélection de sites d’enquête et de sphères d’activités est tributaire d’hypothèses et de modèles d’analyse de ce que sont la mondialisation et le capitalisme. Le problème est ainsi de trouver un cadre comparatif et une montée en généralisation possible, du point de vue de la diversité des études de cas et de la complémentarité des enquêtes conduites.

Mon projet traite ensemble ces quatre axes problématiques, à partir de la globalisation pluriséculaire de l’Océan Indien Occidental et des différents types de changement social ayant affecté ses formations politiques insulaires, à la suite du développement en leur sein de pratiques capitalistes telles que l’accumulation systématique du capital, la salarisation des populations, la privatisation des actifs ou la production marchande. Son point de départ est l’étude comparative à Madagascar de grands projets miniers et agro-industriels qui se concrétisent d’une part, par l’appropriation privée de terres arables, habitées et exploitées par des paysans et éleveurs indépendants, membres de groupes de descendance formant l’ossature de chefferies aristocratiques, de tribus segmentaires ou de communautés villageoises ; et d’autre part, à travers la création par ces entreprises asiatiques de dizaines de milliers d’emplois salariés et la construction d’hôpitaux, d’écoles, de routes et d’agglomérations.

Le cadre théorique initial de ce projet repose sur l’articulation de deux idées empruntées respectivement à Fernand Braudel et David Harvey : la première est que l’accumulation systématique du capital par la mise en circulation des liquidités monétaires est le principal moteur de la globalisation et entraîne comme changement social majeur la marchandisation des produits et des facteurs de production (travail, monnaie, terre) ; la seconde est que le « processus de destruction créatrice de la terre » est à la fois la condition nécessaire à l’accumulation et la circulation des capitaux, et la principale source de blocage, de ralentissement, et d’immobilisation de ces flux de capitaux du fait que leur fixation dans l’environnement sous la forme d’infrastructures soit un aménagement du territoire préalable à leur circulation, tout en faisant l’objet d’âpres luttes politiques en raison des modes inédits de gouvernement et des formes de souveraineté requis. La question est donc de savoir comment cette accumulation par la circulation et la fixation du capital compose in situ avec la projection territoriale et la souveraineté des formations politiques étatiques et tribales préexistantes, en se transformant mutuellement.