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La Lettre n° 56 | Dans les centres et les services | Départs à la retraite
Ginette Boulet
Crédits : Sandrine Boulet
par Gilles Pierroux

Ginette Boulet

Si vous allez du côté de la reprographie centralisée du France début décembre vous remarquerez certainement des changements dans le bureau 732. La transparence des parois révèlera très rapidement qu’il est occupé, mais, comment dire, qu’il n’est plus habité. Il y manquera en effet une silhouette familière, tellement liée à l’histoire de l’École qu’elle paraissait ne jamais pouvoir s’en retrancher. Après 39 années d’une carrière bien remplie, d’abord comme vacataire à la VIème section de l’École pratique des hautes études, puis comme agent contractuel à l’École des hautes études en sciences sociales à compter du 1er novembre 1976, titularisée adjointe technique recherche et formation le 1er janvier 1988 et promue enfin technicienne recherche et formation depuis le 1er septembre 2012, Ginette Boulet va tourner une page, la dernière des milliers qu’elle a manipulées.

La Lettre de l’EHESS a eu l’occasion il y a quelque temps de saluer les départs successifs de Gilberte Béluin et, plus récemment, de Martine Liévin , du service du courrier. Ginette Boulet, elle aussi, contribuait par la manière d’exercer ses fonctions à faire fonctionner cet ensemble de rouages invisibles et – heureusement – imperturbables sans lesquels une institution ne peut vivre.

Lui étaient confiées deux responsabilités principales, traduisant bien les connaissances techniques et administratives qui lui étaient reconnues: l’exploitation, l’approvisionnement et la gestion des moyens de reprographie centralisée et de façonnage des documents, et la centralisation des achats de fournitures de papeterie et informatiques pour les services centraux.

Comme le service du courrier, le service de reprographie fonctionnait comme un cœur : ne s’arrêtant jamais, somnolent au plus fort du creux de l’été, il s’emballait à intervalles réguliers lors des assemblées des enseignants, des élections et des réunions des instances et pour l’édition des contrats quadriennaux, livres blancs et autres travaux plus ou moins confidentiels aux acronymes parfois obscurs. Devaient alors être respectés des plannings extrêmement serrés et très exigeants pour produire dans un délai toujours trop court les tirages nécessaires. Toutes machines mobilisées la « repro » devenait pour quelques jours un sanctuaire où n’étaient admis que ceux et celles qui avaient à y être, venus vraisemblablement prier sans en avoir l’air qu’aucun grain de sable ne vienne troubler la musique saccadée des copieurs. Une erreur dans le nombre des exemplaires était inadmissible, un ordre de passage erroné inconcevable, la moindre panne prenait un air de catastrophe locale, et les délais étaient tellement raccourcis que les copies arrivaient parfois encore tièdes sur les tables. Pendant cette période Ginette se consacrait exclusivement à ce travail, monopolisant avec fermeté l’ensemble des moyens de reprographie pour les réserver aux seules tâches urgentes. Elle assurait aussi quotidiennement le « SAV » de proximité : bourrages incompréhensibles, cartouche d’encre vide, commandes de recto verso énigmatiques, agrandissements déroutants, massicot bloqué, relieuse rétive, rien ou presque ne résistait à sa longue expérience. Elle relevait enfin régulièrement les compteurs des centres de recherche pour permettre la refacturation des consommations de copies.

Madame Boulet avait comme deuxième mission principale la gestion des réserves de fournitures administratives, de papier et de cartouches d’encre pour les imprimantes. Tout était sous bonne garde, et tout le contenu de ses placards était répertorié dans sa mémoire. Elle devait veiller à faire livrer en temps utile les quantités de papier nécessaires pour assurer les tirages exceptionnels, en jonglant avec les capacités de stockage dont elle disposait, avoir à la disposition des services la papeterie courante, mais aussi se procurer dans l’urgence les fournitures correspondant à des besoins imprévisibles, parfois inattendus, et à satisfaire sans délais ni états d’âme vu l’origine de la demande…... Elle y mettait toute l’efficacité de son organisation, et on savait pouvoir lui faire confiance, là comme ailleurs : c’est dans son bureau que le premier fax des services centraux, appareil symbolique d’une certaine modernité à une époque pas si lointaine, avait été installé. Et en mettant sous sa responsabilité un copieur couleur l’administration savait également qu’elle disposerait d’un surveillant scrupuleux.

Très autonome dans son travail, mais sans en abuser, jalouse maître de son bord mais sans s’y enfermer, Madame Boulet a toujours travaillé en bonne intelligence et fait preuve de solidarité spontanée avec ses collègues du service logistique. Assidue, avec ce qu’il fallait de caractère et de réserve pour rappeler son Auvergne natale, Ginette cède sa place en sachant que personne ne lui prendra jamais celle qu’elle a tenue. Réalise-t-on vraiment que pendant toutes ces années une partie de la vie administrative et intellectuelle de l’École est passée en version muette entre ses mains, avant que les yeux et la parole ne les libèrent ? Imagine-t-on, elle qui fut toujours d’une extrême discrétion, ce que pourraient raconter ses machines si elles savaient parler….. ?