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La Lettre n° 56
Faire des sciences sociales
par Christophe Prochasson

Faire des sciences sociales

Enfin ! Les trois volumes très attendus composant Faire des sciences sociales paraissent le 2 novembre. Rassemblant une trentaine d’auteurs, tous issus de l’EHESS, pilotés par un comité de rédaction ayant travaillé près de trois années, l’entreprise atteste tout à la fois la vitalité des sciences sociales françaises et le rôle de l’École dans cette dynamique.

En 1996, l’EHESS s’était déjà rassemblée sous la direction de Jacques Revel et de Nathan Wachtel pour donner à voir ce qu’elle était dans un volume fièrement intitulé Une École pour les sciences sociales. C’est une autre photographie que Faire des sciences sociales propose une quinzaine d’années plus tard. Pas plus qu’en 1996, celle-ci n’est d’ailleurs représentative de ce qu’est l’École dans son ensemble. Les membres du comité de rédaction (Emmanuel Désveaux, Michel de Fornel, Pascale Haag, Cyril Lemieux, Christophe Prochasson, Olivier Remaud, Jean-Frédéric Schaub et Isabelle Thireau) ont fait des choix : diversité disciplinaire, échelle mondiale, représentation des femmes, priorité générationnelle. C’est d’ailleurs sur cette dernière dimension qu’il convient d’insister. Faire des sciences sociales illustre le passage d’une génération à l’autre : non plus bien sûr les fondateurs de l’École, ni même leurs immédiats successeurs, mais ce que l’on pourrait reconnaître comme une « troisième génération », délivrée des grandes figures comme de l’impérialisme des grands modèles. On aurait tort, comme le font certains, de n’y lire que du désenchantement au regard de temps héroïques. On peut tout au contraire se réjouir d’y déceler tant d’énergie et de liberté. L’École a de beaux jours devant elle !

L’EHESS peut se flatter d’être l’une des rares institutions à être en mesure de mener à bien un projet aussi transversal. Ces trois volumes font la preuve que l’interdisciplinarité n’est pas un drapeau que l’on se contente d’agiter. Trois années durant, des chercheurs issus de toutes les disciplines représentées à l’École ont échangé. Des uns et des autres, tous ont beaucoup appris parce qu’ils se voyaient au travail. Faire des sciences sociales ne constitue en effet ni un état des lieux par discipline, encore moins un recueil de manifestes épistémologiques qui ne dit rien des mises en œuvre et des façons de faire mais plutôt un gigantesque laboratoire où chacun montre comment il œuvre. C’est cet empirisme assumé qui fait toute la force et l’efficacité d’un ouvrage dont la lecture deviendra vite incontournable pour tous les jeunes chercheurs s’engageant dans la voie des sciences sociales.

Il faut enfin souligner la dimension collective de l’entreprise qui a été l’occasion d’une coordination remarquable entre l’École et son service des éditions dirigé par Jean-Baptiste Boyer. Anne Bertrand a coordonné le travail du comité de rédaction et fait l’interface avec le boulevard Saint-Michel, siège des éditions, où chacun s’est trouvé mobilisé, d’une façon ou d’une autre, par cet immense chantier. Malgré les inquiétudes occasionnelles, inévitables pour un projet collectif inscrit dans une telle durée, l’enthousiasme n’a jamais fait défaut. Faire des sciences sociales a fait la démonstration que les éditions de l’École sont un véritable partenaire des chercheurs et non pas un simple support de valorisation de leurs travaux.

Collectif, le travail le fut aussi entre tous les auteurs dont les textes furent discutés en de denses et parfois animées séances de travail. Il y eut des débats passionnants, parfois drôles (ah ! les parts de pizza de Philippe Urfalino), toujours amicaux, qui permirent des découvertes intellectuelles autant qu’humaines. Faire des sciences sociales contribue à montrer que l’École des hautes études en sciences sociales existe bel et bien comme une entité parfaitement singulière. En ces temps d’évaluation, il n’était pas inutile de le prouver.