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La Lettre n° 55 | Vie de l'École
En jouant collectif, l’EHESS a pu organiser son premier colloque international de grande taille
Patrick Fridenson et Robert Boyer
Crédits : Andrea Colli

En jouant collectif, l’EHESS a pu organiser son premier colloque international de grande taille

par Patrick Fridenson et Arielle Haakenstad

Sur le thème scientifiquement neuf et de forte actualité, « Les entreprises face aux tensions entre local et global », qu’elle avait proposé, l’École a accueilli du 30 août au 1er septembre sur le site du 105 boulevard Raspail 400 chercheurs. C’était la première fois depuis sa fondation qu’elle organisait en interne un colloque d’une aussi grande taille. Quelles conclusions en tirer ?

Le sens des chiffres

La culture de l’École, ce sont les petits colloques permettant un travail soutenu et la création de réseaux durables. Il y a cependant aussi dans la vie scientifique internationale des conférences de plus grande taille, le plus souvent patronnées par d’importantes associations, qui illustrent la variété des approches d’un thème majeur, et il nous restait à faire la preuve internationalement que cela aussi était dans les cordes de l’École.

Quelques chiffres en apportent la démonstration. 280 communications ont été sélectionnées par le comité international de programme de ce colloque conjoint de l’European Business History Association et de la Business History Society of Japan à partir des réponses reçues à l’appel à communications. Nous avons réussi à obtenir les textes des auteurs. Ils ont tous été mis en ligne et ont constitué une véritable bibliothèque internationale ouverte sur les recherches actuelles relatives à la mondialisation. 80 sessions ont été tenues (à raison de neuf simultanément), plus quatre séances plénières qui ont été filmées. Sur les 400 participants effectifs 16 % étaient des étudiants en doctorat. Ce colloque a ainsi joué un rôle de tremplin pour les jeunes chercheurs. Les Français étaient 93 dont 24 % venus d’établissements de province, et les étrangers 307 de 31 nationalités différentes (dont plus de 80 Japonais et 5 d’autres pays d’Asie du Sud-Est, 40 Scandinaves, 32 Britanniques, 17 Américains du Nord et 3 du Sud, mais aussi des Africains du Sud (2), des Australiens (6)...).

Nous commenterons seulement le fait que le Japon a été le pays étranger le plus présent. Il ne s’explique pas seulement parce que l’Association japonaise d’histoire des entreprises (la BHSJ) est la plus grande du monde et était co-organisatrice du colloque et par l’attractivité de Paris. En effet les prévisions de nos collègues japonais se montaient au tiers seulement du chiffre atteint. Il y a eu de leur part une volonté de relever le défi de l’internationalisation des sciences sociales.

Les enjeux scientifiques

Nous ne reviendrons pas ici sur le détail de la thématique de ce colloque. Il nous appartient cependant de souligner sa spécificité. Il ne s’agissait pas d’un colloque de plus sur l’internationalisation ou sur les mondialisations (mentionnons au passage que les différentes sciences sociales en France n’ont pas été à la traîne dans ce domaine). L’objectif était en prenant le thème des tensions entre local et global d’associer les spécialistes du local et ceux de l’international ou des aires culturelles qui sont souvent séparés. Il était de faire converger l’économique avec le politique, le social et le culturel. Il était aussi d’associer différentes disciplines : histoire, sociologie, anthropologie, géographie, sciences de gestion, économie ont été au rendez-vous. Il aurait pu et dû y avoir aussi le droit…

Pour donner ici une brève idée des recherches présentées et débattues au colloque comme de leur variété nous proposons trois exemples représentatifs :

  • La conférence inaugurale, donnée par Gabrielle Hecht (qui est aussi directrice d’études invitée à l’École au titre de l’accord avec l’Université de Michigan), portait sur « Proliferating Markets. The Transnational Trade in Uranium from Africa ». Conjuguant une approche technopolitique de l’histoire des sciences, histoire des entreprises et anthropologie du contemporain, elle a été écoutée avec une attention intense et a été suivie par un large et vif débat.
  • Le prix de la meilleure thèse en histoire des entreprises a été attribué à un travail mêlant plusieurs approches au service d’une problématique convaincante, celui de Christopher L. Colvin (London School of Economics) : « Religion, Competition and Liability: Dutch Cooperative Banking in Crisis, 1919-1927 ».
  • Le prix du meilleur papier a été remporté ex aequo par deux communications qui représentent deux façons différentes de traiter d’un même grand sujet, celui des chaînes de valeur à l’échelle mondiale : “The Global Value Chain and the Shift towards Luxury in the Swiss Watch Industry: A Focus on the Swatch Group (1990-2010)”, Pierre-Yves Donzé (Kyoto University) ; “Fibres of History. The Transformation of the Danish Fashion Industry and the Emergence of Global Value Chains, 1970-2010”, Kristoffer Jensen (The Danish Museum of Industry and the University of Southern Denmark) et René Poulsen (Copenhagen Business School).

Il nous faut cependant signaler avec beaucoup de regret qu’au-delà de la thèse de Christopher Colvin citée ci-dessus, quatre thèmes importants de l’appel à communications n’ont pu être traités malgré les efforts répétés du comité international de programme faute de propositions d’une qualité suffisante ou de propositions tout court : la place des langues, le rôle des religions, les aspects culturels, les politiques du développement.

Toutes les forces de l’École

Dans la vie de l’École un colloque est porté par (au moins) un laboratoire. L’ensemble de l’équipe administrative et technique du Centre de recherches historiques ainsi que le directeur ont participé très activement à la réussite de cette entreprise en assurant une part importante de la gestion du colloque mais aussi en aidant à la constitution d’une gamme assez large d’offres d’hébergement à proximité du 105 dont certains à prix négociés et en assurant un soutien logistique à toute épreuve. En outre, nous avons obtenu la réservation de 50 chambres à la CIUP.

Ce colloque du fait de l’absence de précédent a nécessité l’appui de presque toutes les directions et services. La bonne marche de ce projet a ainsi dépendu étroitement de l'initiative et de la coopération de la direction du développement de la recherche, de la direction des systèmes d’information, de la direction de l’audiovisuel, des services financiers, du service de la communication, du service juridique, du service de la logistique et de l'agence comptable, ainsi que de la Fondation France-Japon de l’EHESS. Quelques exemples. Les services généraux ont veillé continuellement à nous faciliter la tâche, le service juridique a été sollicité pour l’établissement de conventions (dont certaines en anglais), l’agence comptable a participé activement à la mise en place du paiement en ligne via Paybox, les services financiers ont participé à la gestion d’un budget hors norme, les services de la communication ont transformé la photo emblématique du colloque en magnifique affiche mais ont aussi participé à la confection du kit conférencier, les services informatiques ont assuré l’équipement simultané de plus de dix salles en ordinateurs et vidéoprojecteurs ainsi que l’accès au Wifi pour tous nos participants, les services audiovisuels ont permis de filmer les sessions plénières…

L’équipe du 105 animée par Josseline Gillet nous a apporté un soutien remarquable, efficace et chaleureux, pour la logistique, l’informatique, l’audiovisuel en aval comme durant les quatre jours intenses de notre présence sur le site. Également grâce à elle, l’Université Paris VI nous a prêté gracieusement deux très belles salles dans les étages supérieurs du 105. Une équipe d’étudiants, rémunérés sur vacations, nous a fourni une aide précieuse pour le bon déroulement du colloque en assurant un accueil multilingue, une assistance informatique notamment pour la mise en place des Power Points, une aide logistique et en manifestant une disponibilité de tous les instants au service des participants.

Nous tenons à les remercier ici nommément pour leur remarquable travail : Jessica Corredor, Tristan Jacques, Maïté Juan, Agnès Lakits, Coline Leroy, Camille Moraud, Brahim Oumansour, Anaïs Perret, Anna Rustan, Keiko Serino, Glauber Sezerino, Dominique Zeier.

C’est aussi une doctorante de l’École qui a rendu possible une des subventions, celle des Galeries Lafayette. Nous remercions chaleureusement les deux directeurs généraux des services pour leur écoute, leurs suggestions et leurs conseils, leur détermination, et, last but not least, pour leur prise de risque et pour leur confiance les deux présidents successifs de l'École.

Innovations et initiatives

Nous avons eu recours à la plate-forme web du CNRS SciencesConf.org pour créer le site du colloque. L’accès gratuit à cet instrument réservé aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche permet de créer un site web propre à la conférence mais également, entre autres fonctions, de gérer la sélection des intervenants par le comité scientifique en offrant des possibilités de stockage et d’organisation des propositions et de donner un accès très simple à la version intégrale des papiers pour les personnes qui consultent le programme en ligne.

Le paiement en ligne n’existait pas au sein de notre institution. Nous avons donc utilisé le logiciel de gestion des colloques développé par le CNRS : Azur colloque qui permet un paiement en ligne des droits d’inscription mais également la gestion des participants, l’édition de badges, de bons de commande, de factures et l’établissement de statistiques.

Limites et problèmes

Nous avons eu une demande d’éditeurs étrangers importants pour la vente de livres sur place que nous n’avons pu satisfaire, faute de libraire relais et du fait des difficultés matérielles à installer un terminal de carte bleue dans la salle que nous avions affectée aux publications. Pour autant, la salle des livres, agréablement garnie de nombreux livres et revues en exposition ou à emporter gracieusement, a rencontré un beau succès, son caractère convivial, sa proximité avec les salles de buffet et pauses café et son emplacement assez central attirant de nombreux visiteurs tout au long des trois jours du colloque. Hélène Frouard (CRH) a joué un rôle essentiel dans la réussite de cet aspect du colloque en assurant l’interface avec plus d’une douzaine d’éditeurs français et étrangers et l’agencement de la salle.

La tradition n’est pas en France en sciences humaines et sociales de payer une participation à un colloque, d’où quelques difficultés rencontrées pour faire accepter ce principe à des collègues français. Certains sont allés jusqu’au refus de participer, et ce n’était pas loin s’en faut des personnes rattachées à des établissements fragiles financièrement. Pourtant l’application de ce principe a permis avec une quête active de subventions privées et publiques, françaises et étrangères, à la manifestation non seulement de ne pas être dans le rouge, mais de dégager un bénéfice.

Il nous semble enfin que les laboratoires manquent d’un savoir-faire continu en matière de retombées médiatiques et que nous-mêmes aurions pu mieux faire. On peut cependant signaler la présence continue d’une journaliste spécialisée dans l’Asie et la place donnée au colloque par Le Monde dans son cahier Économie du 25 septembre.

Tel est le premier bilan d’une expérience nouvelle et très collective. Nous sommes évidemment preneurs des critiques qui aideront la réflexion générale. Il nous semble en effet souhaitable que l’École puisse capitaliser les acquis de cette manifestation scientifique et apporter son soutien à d’autres initiatives.