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La Lettre n° 30 | Dans les centres et les services | Disparitions

Françoise Orlic

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Françoise Orlic, printemps 2009

G. Braunstein

Françoise Orlic nous a quittés le 30 janvier dernier. Nous voulons nous rappeler ce qu’elle a apporté au Centre d’étude des mouvements sociaux (CEMS), à ses collègues et à la recherche en sociologie.

Après une maîtrise en sociologie, suivie du diplôme de l’EPRASS en sociologie (Enseignement préparatoire à la recherche approfondie en sciences sociales, formation en deux ans délivrée par l’EHESS), Françoise Orlic est entrée en 1967, à l’âge de vingt-quatre ans, au Laboratoire de sociologie industrielle – devenu quelques années plus tard le Centre d’étude des mouvements sociaux (CEMS) –, que dirigeait alors Alain Touraine. Elle a intégré le CNRS dix ans plus tard, en 1977.

Tout au long de sa carrière, Françoise a travaillé en collaboration avec différents chercheurs du CEMS, Anne-Marie Guillemard, Jean Lojkine, puis Claude Liscia, ou avec d’anciens membres du CEMS comme Georges Benguigui et Dominique Monjardet, puis de 1982 à sa retraite en 2008, très étroitement, avec Antoinette Chauvenet. C’est ainsi qu’elle a eu l’opportunité d’explorer des champs sociologiques divers.

Elle s’est intéressée à l’histoire de la Confédération générale des cadres avec G. Benguigui et D. Monjardet et les recherches historiques conduites à partir des archives de cette confédération, ont été réutilisées à plusieurs reprises par ses deux collègues dans leurs travaux ultérieurs. Elle a travaillé ensuite avec Anne-Marie Guillemard sur les conditions de vie des retraités de l’agriculture, puis s’est investie dans l’équipe constituée par Jean Lojkine autour des politiques urbaines. Les résultats de cette étude l’ont amenée plus tard à travailler sur les processus d’exclusion sociale analysés à partir des politiques urbaines et des politiques sociales, avec Claude Liscia, puis Michèle Fellous. Ces travaux l’ont conduite à travailler avec A. Chauvenet sur la prise en charge médicopsychosociale de l’enfance en danger. En parallèle, Françoise a participé avec A. Chauvenet aux deux recherches pilotées par D. Monjardet, sur la police, la première portant sur le travail policier en milieu urbain, la seconde sur la pratique et la doctrine du maintien de l’ordre chez les CRS. Les résultats de ces recherches se sont avérés féconds pour l’analyse ultérieure du métier de surveillant de prison. À partir de 1989 et jusqu’en 2008, c’est en effet la question de la prison, abordée sous l’angle du maintien de l’ordre et de l’exclusion, qui l’a mobilisée dans un champ des plus extrême, celui de la sanction pénale. Ses derniers travaux ont porté sur la violence carcérale analysée du point de vue du rapport sociopolitique à la population carcérale, croisé avec des monographies portant sur le système des relations en prison.

Françoise était également très investie dans les activités collectives du CEMS. Elle a ainsi collaboré à la rédaction de la Lettre du CEMS avec Pascale Gruson, Marie Le Drian, Marie-Christine Zuber, Nathalie Viet Depaule et Denis Merklen. Lancée en 1997 avec un hommage à Bernard Mottez, la Lettre a paru régulièrement jusqu’en 2005. Membre du conseil de laboratoire, elle participait activement aux séminaires du Centre. Elle était notamment un pilier du séminaire animé par Françoise Davoine et Jean-Max Gaudilière, dont elle savait si bien transmettre les fulgurances.

Témoignant de ses talents d’animatrice et de diplomate, un des directeurs du CEMS a souligné « le courage moral dont elle a fait preuve pour s’investir sans compter, dans les conditions les plus difficiles, pour étudier l’un des problèmes les plus difficiles et les plus 'explosifs' de notre société, la violence carcérale. ». Ce qui soutenait son grand courage au-delà de la sphère professionnelle, sa patience et sa ténacité, c’est son amour de la vie et son amour des autres. C’est aussi la clarté de ses choix et de sa philosophie de l’existence, sans concession, sans le moindre souci des vanités de notre milieu. Très éprouvée par la mort de son mari, fatiguée par la maladie, elle était toujours prête à repartir pour un nouveau voyage dans le social, sur des terrains nouveaux, animée par une insatiable curiosité, par un inépuisable désir de comprendre, s’attachant souvent pour longtemps ceux qu’elle rencontrait sur « ses » terrains.

Le directeur de la maison d’arrêt dans laquelle elle s’est immergée pendant cinq mois a dit en se tournant vers elle, alors que l’équipe prenait congé de lui : « La douceur de votre présence a fait beaucoup de bien à la détention, tant aux détenus qu’aux personnels de surveillance, vous devriez revenir tous les ans ».
Cette parole témoigne de la qualité de sa présence sur les différents terrains qu’elle a explorés, comme elle témoigne de la qualité des entretiens qu’elle en rapportait. Ses divers interlocuteurs se sentaient immédiatement en confiance et pouvaient répondre à ses questions pendant des heures, sans se lasser. Elle témoigne aussi de cette possibilité, portée par elle au plus haut point, qu’ont les sociologues de rendre directement à leurs « sujets » de recherche ce qu’ils leur apportent.