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La Lettre n° 30 | Réflexion sur...
Vincent Duclert
Crédits : D. R. (DMD)
par Vincent Duclert
Chargé de mission

L’information scientifique à l’École. Des pratiques à la politique

L’information scientifique est un concept évident pour une institution comme la nôtre qui est fondée sur une dynamique scientifique structurelle et englobante, la recherche (individuelle, collective, intégrée à l’enseignement, associée aux centres et laboratoires, etc.). Elle apparaît aussi comme une perspective de développement aussi décisive que délicate à mettre en œuvre - d’autant mieux que sa définition peut varier selon les acteurs et les situations donnés.
L’information scientifique peut être tout d’abord considérée comme une modalité d’organisation du savoir – rapportée aux fameuses « Technologies de l’information et de la communication » (TIC) – et un savoir technique lui-même, à l’image de l’Institut de l’information scientifique et technique du CNRS (INIST) qui facilite l’accès aux résultats issus des différents champs de la recherche mondiale, qui développe ou diffuse des outils notamment bibliométriques et qui repose sur une littérature d’expertise abondante.
L’information scientifique peut renvoyer en second lieu aux pratiques ordinaires de la recherche et des chercheurs, notamment en sciences sociales, où la règle impose de publier des résultats scientifiques et de publiciser ces publications dans les différentes sphères ou arènes professionnelles nationales et internationales.
L’information scientifique peut se penser en troisième lieu comme un élément important d’une politique scientifique d’établissement. C’est cette approche qui nous intéresse et qui intéresse, nous le pensons, au-delà du conseil scientifique devant lequel a été présenté ce rapport d’étape de la mission pour l’information scientifique (débutée officiellement le 27 mai 2009), les membres de l’École au sens large, tous ceux qui sont attachés à son rayonnement et à son identité particulière comme institution de recherche et d’enseignement en sciences sociales. Cette notion de politique d’information scientifique peut conférer à l’établissement un pouvoir supérieur de distinction – et de conviction à l’égard des tutelles et des partenaires.

Ce rapport d’étape repose sur une série d’entretiens, de contacts informels, d’observations et d’expériences. Il n’a qu’une modeste ambition, surtout méthodologique, celle de se donner un cadre de réflexion qui n’a, à notre connaissance, jamais été tracé dans l’École même si des expertises importantes existent sur des questions plus circonscrites, ainsi celle consacrée aux systèmes d’information et l’informatique à l’EHESS de François Weil, ou au contraire plus larges, comme la mission prospective confiée à François Hartog sous la présidence de Danièle Hervieu-Léger. Informatif et programmatique, ce rapport comprend certaines recommandations qui pourraient néanmoins être rapidement mises en œuvre. Celles-ci visent à consolider l’existant plus qu’elles ne veulent révolutionner l’avenir, pour la raison suivante : l’École dispose de ressources cachées considérables qu’il serait pertinent de commencer à valoriser dans le cadre d’une politique d’information scientifique pensée et voulue comme telle.
Rapportée à l’École, qu’elle soit définie de manière strictement institutionnelle ou en vertu de son environnement scientifique et administratif (avec ses partenaires au sein des laboratoires ou unités mixtes notamment), l’information scientifique apparaît de notre point de vue comme peu organisée alors même qu’elle est dense et que la matière sur laquelle elle porte – la recherche – est riche et caractérise définitivement l’École. Le rappel, dans un premier temps, de la question de l’information scientifique posée à l’École nous permettra, dans un second temps, d’envisager des réponses aux défis recensés.

La question de l’information scientifique à l’École

Pour l’École, l’information scientifique peut s’envisager tout d’abord comme portant exclusivement sur la production scientifique, à savoir la recherche individuelle et collective des chercheurs ou la recherche dont ils ont besoin. Nous nous concentrerons principalement sur ce point, mais nous insistons sur le fait qu’une politique d’information scientifique pourrait légitimement s’étendre à tout ce qui relève de l’information documentaire (bibliothèques et archives, voir « La politique documentaire de l’EHESS » par Élisabeth Dutartre, Judith Lyon-Caen et Brigitte Mazon, La Lettre n° 28), de l’information universitaire (les mémoires et les thèses, les séminaires), de l’information institutionnelle (l’activité du Conseil scientifique, de la direction du développement de la recherche, etc.), et de l’information administrative qui, pour un établissement comme le nôtre, concerne souvent la recherche (par exemple le CRI-SIR au sein de la DISITEC, ou bien le SIREW chargé de la refonte des sites des centres).
L’information scientifique stricto-sensu se structure en différents flux et destinataires. Il y a en premier lieu la connaissance donnée sur la production scientifique réalisée à l’École – recherche individuelle, recherche collective, recherche universitaire – en direction de l’École elle-même et en direction du reste de la communauté scientifique mais aussi des tutelles et institutions et de la société. Pour ce dernier point, il s’agit plutôt de communication. Mais une communication qui ne serait pas aussi de l’information scientifique ne conviendrait pas à notre établissement. La refonte de la Lettre de l’École depuis la rentrée universitaire, à l’initiative de Joëlle Busuttil, chargée de mission à la présidence, répond à cette exigence de communication institutionnelle fondée sur l’information. En second lieu, l’information scientifique comprend toute l’information et les moyens d’information dont la connaissance est indispensable à l’activité scientifique : catalogues, bibliographies, portails, veille scientifique, etc. En troisième lieu, l’École doit informer (c’est-à-dire former) ses enseignants-chercheurs, ses chercheurs, ses étudiants, ses personnels à l’usage des sources institutionnelles de l’information scientifique – sources internes à l’École avec l’Assemblée des enseignants, le Conseil scientifique, la CUTICE, etc., ou sources institutionnelles externes comme le CNRS – et les former à l’usage des ressources pratiques permettant de fabriquer de l’information scientifique – ressources internes à l’École comme les services de la DISITEC, le Centre pour l'édition électronique ouverte (Cléo), etc., ressources externes comme l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur (ABES) pour le dépôt électronique des thèses, préalable à leur diffusion numérique (le conseil scientifique a voté le principe de dépôt électronique des thèses soutenues à l’EHESS lors de sa séance du 7 janvier 2008). Enfin, quatrième flux, la critique externe et interne portée sur l’information scientifique de l’École, sur sa politique, sur ses systèmes, sur ses ressources, critique qu’il est nécessaire de recueillir.
La question des échelles est aussi à prendre en compte. Faut-il penser prioritairement la politique d’information scientifique au niveau de l’établissement, du futur Campus Condorcet, du PRES HESAM, de l’architecture du CNRS, des centres seulement ? Cette donnée entraîne une nouvelle interrogation. Le réseau d’information scientifique doit-il être centralisateur, fédéraliste, associatif ? En d’autres termes, quel rôle l’École, sa présidence, son conseil scientifique, ses services centraux doivent-ils jouer ? Être seulement une instance d’aide à l’information scientifique des centres, la coordonner, la réaliser en partie ? La question des moyens est posée également, surtout dans une situation de relative pénurie. L’École doit-elle développer son propre système intégré d’information scientifique, ou le concevoir comme la fédération des systèmes des centres et laboratoires, ou encore s’inscrire dans une unité institutionnelle plus large qui prendra en charge cette information scientifique comme celle d’autres établissements – ce qui leur donnerait alors une efficacité, une visibilité plus forte notamment sur le terrain international ?
Les supports méritent également toute notre attention. Les supports électroniques et en premier lieu le web peuvent-ils nous dispenser de conserver d’autres supports ou modalités d’information, support papier, présence immobilière et lieux d’échange et de travail (bibliothèque), contacts directs, jeux d’influence immatérielle ? Les temporalités de l’information scientifique sont tout aussi importantes puisqu’elles concernent l’actualité de la recherche publiée, les projets de recherche en cours ou à venir, et les résultats définitifs dont il convient d’archiver la trace afin de retrouver le livre, l’article, la communication.

Recommandations pour une politique de l’information scientifique

Ces recommandations visent essentiellement à renforcer et coordonner l’information scientifique existante tout en dégageant des principes de politique d’information scientifique. Elles s’organisent autour des acteurs de l’information scientifique, des acteurs doubles en général parce qu’en même temps ils fournissent la matière de l’information scientifique et qu’ils l’activent en partie. Nous allons nous concentrer sur cette seconde tâche, mais il est important de rappeler que l’information scientifique n’a de raison d’être qu’à condition d’avoir de la matière scientifique à informer. C’est le préalable absolu à toute information scientifique digne de ce nom. Vous verrez enfin que plusieurs de ces recommandations rejoignent des projets ou des chantiers en cours à l’École.
Pour favoriser l’information scientifique portée par les chercheurs, il conviendrait d’aboutir sur la question de la signature qui est un élément important du repérage et de la visibilité des travaux scientifiques menés à l’École. Il conviendrait aussi d’organiser une base de données bibliographiques alimentée par un fil d’annonces de publications accessible sur la page d’accueil du site et servi par une liste de diffusion (comme Theuth ou Athena pour l’histoire des sciences et des techniques, par exemple). Il serait nécessaire aussi de systématiser la mise en ligne des comptes rendus d’enseignement et d’en faciliter l’accès sur le site de l’École. Enfin, les pages personnelles des chercheurs devraient être de meilleurs vecteurs de connaissance de la recherche, voire – comme c’est parfois le cas – de véritables outils pour la recherche en y installant plus de bibliographies, des work in progress, etc. Ces développements ne remplacent bien sûr pas la mise en place actuelle de l’Environnement numérique de travail (ENT) et les services qu’il peut rendre.
Pour favoriser l’information scientifique portée par les étudiants – les jeunes chercheurs –, il conviendrait d’avancer sur le dossier du dépôt électronique et de la diffusion des thèses, mais nous ne développons pas puisqu’un rapport sera présenté très prochainement au conseil scientifique sur le sujet.  Il conviendrait aussi que les étudiants soient mieux formés à cette dimension de l’information scientifique en l’intégrant dans les journées de pré-rentrée et dans les rubriques des différents livrets de présentation de l’École et de la scolarité. Les pages personnelles des doctorants pourront être systématisées à condition que l’École dispose des ressources humaines et matérielles pour ouvrir ces espaces. Une base de données mutualisée proposant des ressources méthodologiques pour les études en sciences sociales pourrait être envisagée, de même que pourrait être organisée une information générale sur le thème « Faire de la recherche à l’EHESS ? ». Cette information pourrait constituer un symétrique du volet « Étudier à l’EHESS » que développe actuellement Nathalia Muchnik, chargée de mission pour la vie étudiante. En tout état de cause, cette information scientifique dirigée ou produite par les étudiants suppose une généralisation des adresses @ehess.fr ou @ehess.org et une réflexion sur les différentes listes de diffusion, comme le recommande également Natalia Muchnik.
Pour favoriser l’information scientifique portée par les instances, il conviendrait que la présidence, l’assemblée des enseignants, le conseil scientifique, la CUTICE, le comité d’éthique, etc., puissent disposer de sites ou de plates formes numériques, d’accès libre ou réservé, afin de publier leurs travaux et d’archiver la documentation ainsi produite (rapports, comptes rendus, relevés de décisions, etc.), un peu sur le modèle du site et de la liste « débats 2009 » créés pour l’élection à la présidence, espace qui propose toute une série de documents dont le rapport de François Weil mais qui demeure d’un accès malaisé. Il existe trop de documents – notamment sous forme de littérature grise – soit directement scientifique soit de réflexion sur l’organisation de la recherche et de ses institutions, qui se perdent après été produits – même si le service des archives assure une part de leur conservation. Au moins l’actuelle Direction du développement de la recherche animée par Philippe Casella devrait bénéficier d’un espace dans la rubrique « recherche » du site de l’École pour archiver ce type de documentation et s’installer fortement dans le paysage institutionnel et professionnel.
Pour favoriser l’information scientifique que représentent les Éditions, il conviendrait de créer physiquement une librairie au bâtiment Le France (puis à Aubervilliers) afin que les membres de l’École et son public puissent acquérir les ouvrages publiés par les Éditions de l’École et les ouvrages de leur fonds. Une bibliothèque des titres publiés par l’École sous une forme ou une autre, aux Éditions ou auprès d’autres éditeurs, pourrait aussi voir le jour. Elle pourrait être associée à un autre projet, à savoir la création d’une Bibliothèque des Thèses. Celle-ci rassemblerait les thèses papier soutenues à l’EHESS et elle évoluerait vers une bibliothèque virtuelle au fur et à mesure de la numérisation des manuscrits et du dépôt électronique des nouvelles thèses. La question se posera rapidement de savoir si l’École doit développer son propre espace de diffusion des thèses numériques ou si elle passera par des sites déjà existants et fédérateurs comme HAL/CNRS. Le service rendu par cette Bibliothèque des Thèses (sous sa forme matérielle) ne se substituerait pas à l’actuelle conservation de nos thèses par la bibliothèque de la FMSH qui continuera à les mettre à la disposition de ses lecteurs.
Pour favoriser l’information scientifique de l’établissement lui-même, dans le contexte notamment d’une première approche de l’École par des étudiants, des chercheurs, des collègues, il conviendrait de disposer d’une véritable plaquette de présentation – Joëlle Busuttil y travaille – et d’un accueil scientifique au bâtiment Le France (et à Aubervilliers), en particulier pendant les périodes d’inscription universitaire. On peut aussi imaginer une présence de l’École sur des réseaux sociaux type Facebook qu’utilise, par exemple, l’université Stanford aux États-Unis. L’École demeure encore trop perçue comme un établissement inaccessible, fermé, voire opaque. Une politique d’information scientifique à l’échelle de l’établissement peut agir efficacement contre cette image négative (constatée notamment lors de mes contacts en tant qu’enseignant-orienteur avec les étudiants, qui témoignent depuis plus de dix ans de ce mythe de l’École inaccessible).
Pour favoriser enfin l’information scientifique en provenance des centres, il conviendrait de la rendre plus visible, et d’accompagner les progrès de l’information scientifique qui seraient réalisés au niveau de l’École par des progrès équivalents à leur niveau. Cette dernière recommandation rejoint des développements très récents. Le Centre pour l'édition électronique ouverte (Cléo) a été sollicité par le président de l’EHESS pour former le SIREW qui est chargé de la refonte des sites des centres. Ces sites devraient être en mesure de faire basculer leurs informations vers l’annuaire de l’École. Le Centre de recherches historiques pourrait servir de pilote, comme l’a indiqué le dernier conseil de laboratoire du CRH. On en revient à la définition de l’architecture générale de cette politique (abordée plus haut). À ce stade, la contribution particulière des chercheurs de l’École en sociologie de l’information et de la communication serait une aide précieuse. Elle permettrait la confrontation entre des points de vue techniques, scientifiques et généralistes.

Les responsabilités présentes de l’École

La conclusion de ce rapport d’étape souhaite mettre l’accent sur les responsabilités directes et immédiates de l’École en matière de développement de l’information scientifique.
Cette thématique centrale et commune mérite d’une part de bénéficier d’un affichage sur la page d’accueil du site de l’École à travers une rubrique permanente qui en expliquerait le principe, le fonctionnement, les avantages, et qui, par un système de liens, organiserait un portail « Hautes études en sciences sociales », avec le fil d’annonces de publications, une veille scientifique, et des accès multiples à des bibliothèques virtuelles ou aux catalogues des bibliothèques matérielles dont nos bibliothèques de centre.
Il conviendrait d’autre part que l’École intègre certains réseaux dédiés de partage de l’information scientifique. Le Conseil scientifique sera saisi prochainement de l’opportunité pour l’École d’entrer dans le catalogue SUDOC (ou Système universitaire de documentation) qui, nous le rappelons, ne se limiterait pas au catalogage et à l’indexation in situ des deux cent-cinquante thèses soutenues chaque année dans notre institution – « le cœur du métier ». Le SUDOC constitue une base de données répertoriant d’importantes ressources scientifiques grâce à des répertoires bibliographiques partagées. Il s’agit d’un outil important dans une politique d’information scientifique.
La mission d’information scientifique, une fois réalisé son rapport final, devrait enfin être pérennisée sous forme d’un délégué à l’information scientifique dépendant du président de l’École. Ses tâches et responsabilités seront esquissées dans ce rapport final. Il conviendrait qu’il puisse s’entourer d’un comité d’évaluation de l’information scientifique, lequel rendrait compte de ses activités au conseil scientifique et ferait des propositions régulières. La présence d’un tel regard d’ensemble, à la fois central et décalé, serait, nous le pensons, utile à notre communauté, à l’évolution de nos pratiques de recherche et d’enseignement, et à la construction de l’image que nous souhaitons donner de nous-mêmes.
À ces conditions, l’information scientifique deviendra un ressort important de la politique scientifique de l’École des hautes études en sciences sociales.