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La Lettre n° 51 | Échos de la recherche
par Judith Hannoun

ODSAS : la plateforme numérique d’archives scientifiques du CREDO

ODSAS, Online Digital Sources and Annotation System, est une plate-forme d'archives numériques du Centre de Recherche et de Documentation sur l’Océanie, CREDO. Elle est née de deux questions : que vont devenir les informations recueillies par les chercheurs en sciences humaines et sociales au cours de leurs recherches si elles ne sont pas publiées ? Quels outils proposer aux chercheurs pour exploiter les possibilités offertes par la numérisation de leurs archives ?

ODSAS a été créée au CREDO en 2007 à la suite d’un constat alarmant sur la sauvegarde des archives des chercheurs. En effet, ceux-ci recueillent une grande quantité d'informations de natures diverses dont une part très faible est finalement publiée et accessible sous une forme ou une autre. La majeure partie des données de la recherche reste malheureusement le plus souvent inaccessible et même disparaît pour les générations à venir. L'objectif devint donc de procéder à la numérisation des carnets de terrains des chercheurs, des diapositives accumulées tout au long des années et autres archives et notes portant sur leurs recherches, puis de les sauvegarder et de les archiver sur une plate-forme en réseau.

Afin de pouvoir persuader les chercheurs de déposer leurs matériaux de terrain pour l’archivage numérique, il ne fallait cependant pas se limiter à la seule étape de numérisation, mais il fallait offrir une plate-forme qui puisse à la fois protéger la confidentialité des documents et à la fois produire de la plus-value sous la forme d’une capacité d’organisation et de documentation des corpus par les chercheurs eux-mêmes. ODSAS, dès sa création, permettait ainsi de travailler sur ces archives et proposait , tout en respectant les questions de droit et de confidentialité, de nombreuses fonctionnalités de documentation et de manipulation des documents numériques, d’annotation et de transcription, ainsi que de mise en liens des fichiers entre eux. L'archive perdait alors son statut de document poussiéreux et oublié pour devenir un nouveau support de travail pour les chercheurs. Dans le même temps, ODSAS est apparu comme une solution pour restituer les matériaux aux populations concernées par les investigations des chercheurs en leur proposant l'accès aux documents les concernant, toujours sous l’autorité et avec l’accord du chercheur lui-même.

ODSAS est en premier lieu une plate-forme spécialisée dans les archives de la recherche en Asie et Océanie et à ce titre héberge aujourd’hui plus de 80.000 documents provenant de ces deux régions : textes anciens, carnets de terrains, photographies, dictionnaires et lexiques, enregistrements sonores, vidéos, ou encore des thèses. Les informations que fournissent les chercheurs au fur et à mesure de leur travail sur leurs propres collections alimentent les parcours de navigation : moteur de recherche, navigation à travers les communautés concernées, les pays visités, les propriétaires de collections, ou encore à travers une frise chronologique.

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Après plusieurs années de développement et de fonctionnement, on peut parler d'une richesse scientifique importante et de parcours variés. Voici quelques exemples. Maurice Godelier, spécialiste de la Papouasie Nouvelle-Guinée, a confié ses archives à ODSAS dans un souci de sauvegarde de ses recherches mais également dans l'idée de faire "revisiter ses terrains" par d'autres chercheurs. Aujourd'hui, des étudiants travaillent sur ses archives dans plusieurs directions : certains continuent l'exploitation de données en attente, d'autres retranscrivent ses carnets de terrains. Autre exemple, Barbara Glowczewski, qui a décidé elle-aussi de confier ses archives à ODSAS. Son objectif, en dehors du souci de sauvegarde, est de proposer l’accès à la plate-forme collaborative aux populations avec qui elle travaille en Australie. Ainsi, une fois les documents numérisés et hébergés sur la plateforme, elle est retournée en 2011 chez les Walpiri, communauté aborigène de l’Australie centrale, pour documenter et annoter avec eux les photographies et enregistrements sonores recueillis quelques années auparavant. L'archive devient alors témoignage et lieu de discussion.

De nombreux chercheurs du CREDO ont également adhéré à la plate-forme en y déposant leurs carnets de terrains, leurs photographies et documents audiovisuels. Pour certains d’entre eux, ODSAS n'est qu'un puissant outil de sauvegarde de leurs données. Pour d'autres, la plate-forme est utilisée avec toutes ses possibilités : ils retranscrivent leurs carnets ou documents manuscrits pour avoir accès à une recherche en plein texte de leurs données, documentent et annotent leurs fichiers pour ne pas perdre le contexte lié à leurs création, lient leurs photographies à leurs notes et à leurs enregistrements sonores, et au-delà exploitent toutes les propositions d’analyse sémantique qui en ressortent. Autre exemple de collection : les documents sur un rituel funéraire photographié dans les années 1970 au Vanuatu par l’aventurier Georges Liotard ont pu être montrés 40 ans plus tard au sud de Malekula où les photographies avaient été prises. Aux descriptions de Georges Liotard lui-même ont pu ainsi être rajoutées les annotations et témoignages des personnes qui ont assisté adolescents à ce rituel et témoigner ainsi d’une autre perspective mémorielle et analytique que celle de l’acteur photographe.

ODSAS propose des collections ouvertes au public mais aussi des collections à accès restreint permettant d‘assurer la confidentialité souvent nécessaire en anthropologie sans pourtant empêcher le chercheur de travailler sur ses archives. Tous les documents disponibles sur la plate-forme sont proposés dans une résolution moyenne mais sont également archivés dans une haute résolution pour ne pas limiter les possibilités de réutilisation dans le futur. Chaque propriétaire de collection a la possibilité de proposer des accès étendus ou restreints à ses documents à d’autres chercheurs qui travaillent avec lui ou qui lui ont demandé un accès. ODSAS devient alors plate-forme collaborative de travail et les utilisateurs peuvent compléter les métadonnées des documents, apporter des informations complémentaires par des annotations qui peuvent elles-mêmes être annotées, transcrire les textes manuscrits, sous-titrer les films ou transcrire les enregistrements sonores, extraire des parties d’images pour les regrouper autrement et ailleurs, ou encore créer des collections virtuelles.

L'ensemble des informations ajoutées ainsi par le travail de sélection, de documentation et d’annotation permet d‘élaborer à la volée des nuages sémantiques significatifs pour un ensemble de documents. Ces deux produits, directement issus des possibilités de l'informatique appliquées aux corpus en sciences sociales et humaines, caractérisent le positionnement d’ODSAS dans un champ qui se développe pleinement en France, les Humanités numériques ou Digital Humanities : faire profiter les sciences humaines et sociales de toutes les possibilités offertes par l'informatique dans l'exploitation et la diffusion des données de la recherche tout en conservant un regard critique sur les résultats obtenus. Une discussion en profondeur sur les questions liées aux ontologies et sur les méthodologies employées pour élaborer les nuages sémantiques pourra être abordée dans un autre article.

ODSAS propose également un moissonnage de ses métadonnées au format dublin-core et RDF et l'interopérabilité est une préoccupation constante dans toutes les évolutions et développement opérés. Le travail a porté ses fruits avec le moissonnage des métadonnées par la plateforme de recherche Isidore qui permet l'accès aux données numériques des sciences humaines et sociales (SHS). La présence d’ODSAS sur Isidore permet en plus de disposer pour chaque document d'un identifiant unique lié à une adresse (URL) pérenne. L'enjeu de cette interopérabilité est d’assurer si nécessaire la confidentialité des documents hébergés sur ODSAS tout en communiquant avec les autres plate-formes d'archives numériques pour faire connaître la richesse des collections conservées. Une évolution prochaine vers une compatibilité au format EAD, caractéristique des inventaires d'archives papiers, doit assurer un lien plus fort encore entre le monde des archives et le monde du numérique. La plate-forme est également compatible avec le logiciel de gestion de références bibliographiques Zotero ce qui permet à un chercheur qui travaille sur des documents hébergés sur ODSAS de les citer facilement. L'importance de la citabilité des documents va de pair avec l'existence de liens pérennes. Tout document cité dans un article doit pouvoir être retrouvé facilement par des personnes qui le lisent. ODSAS, dont le développement a été soutenu à ses débuts par le TGE Adonis et par le CREDO, en est venu naturellement à tenir un rôle de médiateur entre le chercheur, l'archive et différents interlocuteurs, comme des étudiants, des communautés autochtones ou encore des institutions. la plate-forme est aujourd'hui intégrée dans le consortium des Archives des Ethnologues financé par la TGIR Corpus-IR dont l'objectif est d'identifier et de faciliter la sauvegarde de toutes ces données de la recherche en SHS et de proposer des méthodologies de travail communes.