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La Lettre n° 51 | Échos de la recherche
Cyril Lemieux, élu directeur d’études par l’assemblée des enseignants en juin 2011

Cyril Lemieux, élu directeur d’études par l’assemblée des enseignants en juin 2011

Les révélations du site WikiLeaks sur la diplomatie américaine et les révolutions survenues en Tunisie et en Égypte ont mis au jour les effets qu’Internet exerce désormais sur la critique sociale. Sous le titre « Médias et contre-pouvoirs à l'ère numérique », mon projet se fixe pour objectif de caractériser sociologiquement ce type d’effets, d’en expliquer les mécanismes concrets et d’en comprendre les limites.

Le détour par une analyse des grammaires de l’action

D’inspiration pragmatiste, la méthode d’enquête que j'utilise consiste à appréhender les comportements sociaux sous l’angle de leur rapport à des ensembles de règles pratiques (ou grammaires). Cette approche, qui met l’accent sur la dimension holistique de l’action, place au cœur de l’analyse deux postulats: l’existence d’une pluralité de grammaires de l’action, qui invite à être attentif aux contradictions pratiques qu’ont à gérer les acteurs; l’indétermination relative de l’action, qui reconnaît sa prévisibilité (et l’inégale distribution des chances d’agir au sein des groupes étudiés) sans pour autant sous-estimer sa part d’incertitude et de créativité.

Pour en savoir plus sur ce point : « Grammaires de l’action », un dossier publié dans la revue Annales. HSS, n°6, novembre-décembre 2010, p. 1429-1470; C. Lemieux, Le devoir et la grâce. Pour une analyse grammaticale de l’action, Paris, Economica, 2009.

Internet pour les journalistes : un outil au service du réalisme économique ?
Comprendre, sur la base d’une approche grammaticale de l'action, les effets politiques d’Internet exige, d’abord, d’étudier les acteurs qui contrôlent l’accès à la plus grande visibilité publique: les journalistes. Sur ce plan, les travaux que je mène depuis plus de quinze ans font clairement apparaître que dans les grands médias d’information, les technologies numériques sont aujourd’hui mises au service d’un renforcement des règles de « réalisme économique ». En mobilisant d’autres grammaires que celle du réalisme, les journalistes n’en conservent pas moins, cependant, la possibilité de résister à la rationalisation économique de leurs pratiques. Ce sont les effets concrets de ces processus critiques que j'entends analyser dans une enquête engagée actuellement au sein de l’Agence France Presse, que ses dirigeants ont entrepris de transformer en agence numérique. Ce sont eux également qui sont au centre du programme de collaboration internationale que j'ai initié au sujet de l’évolution des pratiques journalistiques dans une dizaine de pays à travers le monde.

Pour en savoir plus sur ce point : C. Lemieux, dir., La subjectivité journalistique, Paris, Editions de l’EHESS, 2010; Mauvaise presse, Paris, Métailié, 2000.

Internet pour les sources institutionnelles : des circuits d’information à contrôler ?
Comprendre les conséquences d’Internet sur l’accès à la visibilité publique réclame, en second lieu, de s’intéresser au rôle que jouent les stratégies des sources institutionnelles. En rupture avec le « médiacentrisme », mais aussi avec les visions angéliques de l’espace public médiatique, l’enquête se porte ici vers les techniques auxquelles recourent organisations et administrations pour contrôler la visibilité donnée à certains éléments de leurs activités ou pour les maintenir secrets et éviter certains scandales. Dans cette lutte pour sauvegarder ses intérêts et sa réputation, Internet est devenu un champ de bataille décisif. C’est ce que j'ai entrepris d'analyser en suivant le travail de Web influencers (ces experts en communication rémunérés par des commanditaires pour influencer les débats publics) dans le cadre de controverses publiques actuellement en cours.

Pour en savoir plus sur ce point : C. Lemieux, D. de Blic, dir., « À l'épreuve du scandale »,, Politix, 71, 2005; C. Lemieux, « A quoi sert l’analyse des controverses ? », Mil neuf cent, 25, 2006; « Rendre visibles les dangers du nucléaire. Une contribution à la sociologie de la mobilisation », in B. Lahire, C. Rosental, dir., La cognition au prisme des sciences sociales, Paris, Éditions des Archives Contemporaines, 2008.

Internet pour les citoyens : des espaces contre-médiatiques à investir ? 
Mon projet nécessite, enfin, de s’intéresser aux pratiques de certaines fractions diplômées de la population qui cherchent aujourd’hui, grâce à Internet, à ériger des formes de contre-pouvoir et à produire une « autre » information. À partir de différents terrains d’enquête (mobilisations citoyennes sur Internet, sites de contre-expertise, journalisme en ligne), dans le cadre d’un projet collectif soumis au financement de l’ANR, mon but est, sur ce plan, d’examiner les liens et les échanges existant entre espaces « contre-médiatiques » sur Internet et médias traditionnels, en France mais également, grâce au concours de chercheurs spécialistes de ces pays, en Chine, en Russie et aux États-Unis.

Enseigner et faire de la recherche à l'ère numérique
Par sa nature, le projet que je lance soulève la question du rapport que les sciences sociales elles-mêmes peuvent et doivent entretenir à la visibilité publique. À cette question, je cherche à apporter des réponses concrètes, en proposant des expérimentations unissant journalistes, spécialistes d’Internet et sociologues dans des démarches d’enseignement croisé mais aussi d’enquête et de publication communes. Elles s'inspirent d'expériences que j'ai menées ces dernières années en tenant des rubriques dans les médias conventionnels (France-Culture, Alternatives économiques) et numériques (lemonde.fr) ; de séminaires que j'ai co-animés à l'EHESS avec le journaliste S. Bourmeau (notamment « L'enquête en journalisme et en sciences sociales: regards croisés » en 2010-11) et de l'expérience pédagogique que j'ai initiée en organisant chaque année depuis 2006 une enquête de terrain collective mobilisant une quinzaine d'étudiants du Master de sociologie de l'EHESS (cette année, elle consiste en des observations ethnographiques dans les services « politique » de cinq rédactions parisiennes pendant toute la durée de la campagne pour l'élection présidentielle).

Pour en savoir plus sur ce point : C. Lemieux, La sociologie sur le vif, Paris, Presses des Mines, 2010; E. Dagiral, S. Parasie, « Intervenir autrement », in C. Lemieux, Un président élu par les médias ?, Paris, Presses des Mines, 2010; (avec C. Bonnemazou et R. Fillon), Paradoxe de la critique. L'élevage porcin en Bretagne à l'épreuve de ses détracteurs, documentaire sociologique de 65 mn réalisé avec la promotion 2007 des étudiants du master de sociologie de l'EHESS, ESCOM-FMSH, 2008. Visible ici

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