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La Lettre n° 51 | Dans les centres et les services
Bernard André
par Florence Hachez-Leroy

Bernard André

Un vieux loup de mer, capitaine au long cours du patrimoine industriel

Bernard André est un homme discret, peu disert sur lui-même et sur ses activités, il est pourtant un vieux loup de mer, capitaine au long cours du patrimoine industriel et des territoires urbains… L’« archéologie industrielle » est née il y a une quarantaine d’années en France, portée, entre autres institutions, par le Centre de recherches historiques, dans un contexte stimulant d’émulation à l’échelle européenne et nord-américaine. C’est dans une atmosphère d’extrême militantisme, soutenu par la certitude d’avancer dans un champ de recherches nouveau, que Bernard André a pris ce chemin et ne l’a plus quitté, œuvrant inlassablement à défendre et à consolider cette discipline.

Intégré, en janvier 1973, dans le groupe de géographie sociale et d’études urbaines dirigé par Marcel Roncayolo et aujourd’hui par Marie-Vic Ozouf-Mariginer, Bernard a participé aux programmes de recherche collective menés par l'équipe sur la ville, l'urbanisation et la division sociale de l'espace et obtint le poste d’ingénieur d’études. Il soutint, en 1980, sous la direction de Marcel Roncayolo, une très belle thèse intitulée Bourgeoisie rentière et croissance urbaine : Vannes, 1860-1910. Bernard, encouragé par Louis Bergeron, a ensuite choisi de privilégier la voie alors pionnière de l'archéologie industrielle, et d’y apporter ses compétences de géographe confronté aux effets de la désindustrialisation puis de la reconversion et désormais du développement durable. Rappelons ici le séminaire commun longtemps animé par Louis Bergeron et Marcel Roncoyolo sur les problématiques urbaines. Les différents colloques que Bernard a contribué à concevoir rendent compte du souci de comprendre ces enjeux, de débattre des questions soulevées y compris dans l’actualité et de fédérer une communauté scientifique la plus large possible, sur ce que l’on appelle aujourd’hui le patrimoine industriel. Secrétaire général du Cilac depuis 1994, Bernard a indéniablement marqué cette association savante, cet objet curieux, dont les membres viennent autant du monde de la recherche et de l’enseignement supérieur que des milieux associatifs, du ministère de la Culture et de la Communication que des institutions publiques en province.

Homme de réseaux et de contacts, Bernard a toujours eu à cœur de préserver cette richesse et d’en transmettre les principes comme d’en appliquer les recettes. Chargé de cours à l’université de Bretagne Sud, il sait aussi communiquer aux étudiants ses convictions et son érudition, qui est aussi encyclopédique que précise et appuyée sur de très larges lectures et une connaissance étonnante de l’actualité des sites, des chantiers et des institutions dans ce domaine. Ses contributions aux stages de formation organisées par l'Institut national du patrimoine sont toujours remarquées.

La revue L’Archéologie industrielle en France a connu depuis quinze ans, sous sa direction, une véritable mue, tant sur la forme que sur le fond. Grâce à sa ténacité, numéro après numéro, Bernard André peut effectivement aujourd’hui affirmer, avec raison, que L’AIF est la seule revue francophone dans ce domaine, présente dans toutes les bibliothèques universitaires et centres de recherches en archéologie et patrimoine industriels. Ce n’est pas un mince exploit, lorsqu’on connaît les difficultés partagées par toutes les revues scientifiques.

Breton aux racines franc-comtoises enraciné dans son fief vannetais, Bernard y porte haut les couleurs du patrimoine industriel auquel il a consacré un très bel ouvrage en 2001 ; il a également participé aux débats de la commission régionale du patrimoine et des sites et ne manque pas de s’engager pour les causes locales du patrimoine et de l’environnement qu’il connaît parfaitement. Son conseil est fréquemment sollicité à titre d’expert dans les projets de rénovation urbaine. Lors d’un récent colloque dédié à la reconversion des silos, nous eûmes le rare privilège de l’entendre évoquer un épisode de son adolescence, alors que, de retour de vacances estivales, ses parents se retrouvaient nez à nez avec un haut silo à grains poussé comme un champignon pendant l’été 1959… Une cinquantaine d’années plus tard, l’ancien galopin en culottes courtes s’offrait le luxe de batailler contre la démolition de l’édifice : il soulignait, dans son propos, l’amnésie des Bretons quand il s’agit de leur histoire économique, qui les conduit au reniement des emblèmes de cette activité. Or ce silo symbolise à lui seul le début de la production industrialisée d’aliments pour la volaille et l’essor de cet élevage industriel dans la région.

Homme de terroir, courageux et tenace, Bernard force l’admiration quand il parle de sa maison en bois, construite de ses mains, ou de son bateau et de sa passion pour la mer. Qui n’a ri, à l’écouter raconter ses escapades mycologiques, et salivé à l’évocation de la fricassée qui s’en suivit : car Bernard est aussi un jardinier précis et patient, qui sait observer le temps, apprécier la durée et le rythme des saisons, un fin gourmet et un cuisinier de talent.

Homme de passions, qui sait réconcilier dans une compréhension profonde du génie des lieux la mer, le patrimoine industriel et les produits de la terre, mais aussi la transmettre à ses petits-enfants, nous savons qu’il ne connaîtra pas l’ennui. Reste qu’il n’en a pas tout à fait fini avec la recherche : nous comptons encore sur lui pour poursuivre sa réflexion entamée sur le sens des lieux industriels, entre une sortie en mer et un plat de girolles…