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La Lettre n° 50 | Échos de la recherche
Élisabeth Anstett
Crédits : Estelle Girard
par Élisabeth Anstett

Corpses of Genocide and Mass Violence

Interdisciplinary and Comparative Approaches of Dead Bodies Treatment in the 20th Century (Destruction, Identification, Reconciliation)

Les violences de masse ont représenté un phénomène structurant du XXe siècle. Marquée par le génocide arménien, l’Holocauste, le goulag, la guerre civile espagnole ou les crimes contre l’humanité commis en Bosnie, l’Europe offre à elle seule un ensemble d’exemples qui ne suffisent pourtant pas à établir une typologie complète des violences extrêmes. En effet, plus de trente millions de personnes ont péri dans les génocides et les crimes de masse perpétrés dans le monde au cours du seul XXe siècle, un siècle marqué par l’irruption de la technologie, l’échelle des violences et leur extension géographique ou temporelle.

Or, de façon assez paradoxale, et malgré l'importance des travaux menés sur le corps d’une part et les violences de masse d’autre part, la question du corps dans les violences de masse demeure encore un thème largement inexploré. Pourtant, le sort fait au corps, et singulièrement au corps mort, semble véritablement constituer une clé pour l’analyse de l’impact des violences extrêmes sur les sociétés, tant l’irruption de cadavres en masse semble représenter un véritable défi lancé aussi bien au sens commun, qu’à la loi ou la morale. Véritable point de départ d’une réflexion engagée en collaboration avec l’historien Jean-Marc Dreyfus de l’Université de Manchester, la question de la destiné des corps morts a été placée au centre d’un vaste projet de recherche consacré à une meilleure compréhension des violences de masse du XXe siècle, projet qui vient d’obtenir une Starting Grant de l’European Research Council.

Pour aborder la question du corps dans les violences de masse, nous avons choisi de maintenir une approche qualitative, comparatiste et pluridisciplinaire. La dimension qualitative de notre projet nous permettra ainsi de prendre appui sur l’analyse documentée d’un certain nombre d’étude de cas exemplaires de configurations historiques et culturelles matricielles. Par ailleurs conscients que l’approche d’une seule discipline ne suffisait pas à restituer la totalité des enjeux de la question du corps dans les violences de masse, et leur complexité, nous avons souhaité engager une démarche pluridisciplinaire en maintenant un dialogue étroit entre l’anthropologie qui donne accès au terrain, l’histoire qui restitue le déploiement temporel et spatial des violences, et le droit qui fut la première discipline à s’être engagée dans l’analyse systémique des génocides et à avoir montré une ambition théorique, tout en intégrant à notre réflexion l’apport structurant des sciences politiques et des sciences médico-légales.

Notre équipe pluridisciplinaire, associant un ensemble d’anthropologues, d’historiens et de juristes de et prenant appui sur une collaboration avec les universités de Manchester et Groningen, envisage dès lors la question du sort fait au corps mort dans les violences de masse en partant des trois étapes logiquement structurantes, de la destruction qui permet d’aborder à la source les enjeux des pratiques génocidaires, de l’identification qui engage une réflexion sur le retour ou la résurgence des corps et de la réconciliation qui permet d’aller au-delà de la seule question de la commémoration ou de la patrimonialisation des violences pour aborder de façon plus large toutes les procédure qui visent à inscrire le corps des victimes dans la société, de façon pacifiée.

L’objectif de ce programme prévu à se dérouler du 1er février 2012 au 31 janvier 2016, est de comprendre comment différentes sociétés ont composé avec la première conséquence des violences extrêmes : l’irruption massive de cadavres. Ainsi, quels statuts et quelles valeurs ont été conférés à ces corps ? À quels usages politiques, sociaux ou religieux ont-ils donné lieu pendant et après les violences ? Quelle place les sociétés leur ont-elles accordée ? Notre projet se propose à ce titre de consolider le champ des Genocide Studies, en forgeant des outils intellectuels et théoriques appropriés à la prise en compte de la destiné des corps, qui permettront de mieux comprendre l’impact des violences de masse sur les sociétés contemporaines.