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La Lettre n° 49 | Les Éditions de l'EHESS
par Anne Madelain

Des nouvelles de Beyrouth et d’ailleurs…

Les sciences sociales représentent-elles dans le monde arabe un savoir importé ? Faut-il les relier à la tradition ? Ainsi se formule bien souvent le questionnement des intellectuels arabes, selon Mohamed-Sghir Janjar, directeur adjoint de la Fondation du Roi Abdul-Aziz pour les études islamiques et les sciences humaines (Casablanca), qui ajoute qu’on n’a pas là les moyens de répondre à la question « comment produire de l’universel ? ».

Les relations intellectuelles entre les deux rives de la Méditerranée et les transformations de l’édition (le numérique en particulier) ont animé les rencontres professionnelles franco-arabes organisées en marge du Salon du livre arabe de Beyrouth du 4 au 7 décembre 2011 par le Bureau international de l’édition française, en collaboration avec l’Institut français, les unions des traducteurs et des éditeurs arabes. Belle occasion pour la quinzaine d’éditeurs français présents, dont les Éditions de l’EHESS, de présenter leur production et d’échanger sur de futurs projets de traduction.

Les sciences humaines et les outils de la circulation des idées que sont les livres et les revues sont au cœur d’enjeux importants. Le rapport de l’UNESCO sur le développement humain de 2003, en pointant les faiblesses des politiques culturelles dans le monde arabe, avait provoqué un sursaut de la part des États qui ont ensuite investi dans des programmes ambitieux d’aide à la traduction. Ce que les éditeurs libanais, égyptiens, algériens ou encore marocains recherchent chez les auteurs étrangers, ce sont des exemples d'enquête de terrain et des apports théoriques nouveaux qui viennent aussi stimuler la réflexion sur la langue. La traduction permet de sortir de l’alternative à laquelle se trouvent confrontés de nombreux intellectuels arabes : exister sur le plan international et publier en anglais ou appartenir à une communauté scientifique ancrée uniquement localement, ce que le sociologue Sari Hanafi, rédacteur en chef de Idafat, The Arab Journal of Sociology résume par la formule « Publish globally and perish locally vs publish locally and perish globally ».

Certes l’édition connaît dans cette partie du monde des difficultés importantes : piratage numérique, faiblesse de la diffusion et émiettement des structures éditoriales. De plus, bien que le monde arabe compte près de 284 millions de locuteurs, il y existe peu d’outils de distribution transnationaux et les éditeurs doivent souvent diffuser par eux-mêmes, ce qui confère aux foires du livre un rôle important. Encore embryonnaires également, les sites de vente en ligne et les portails de revues scientifiques ; voir à ce sujet un état des lieux de la traduction entre les deux rives de la Méditerranée publié récemment par la revue Transeuropéennes.

Les Éditions de l’École diffusent bien sûr leur production en français dans les pays arabes (grâce à Gallimard export) mais le recul de la francophonie et le prix élevé de nos livres en limitent l’accès. Coéditions ou impressions sur place, pratiquées par de nombreux confrères, peuvent s’avérer à l’avenir des solutions pour une meilleure diffusion. C’est aussi pour échapper à la perspective d’une langue des sciences humaines « globalisée » que les Éditions et la Direction internationale de l'Ecole ont mis en place un comité de veille à la traduction dont la première réunion se tiendra le 28 février prochain. L’objectif de ce comité, qui réunira des chercheurs des différentes aires culturelles, est de suivre l’actualité des publications scientifiques hors de nos frontières, de proposer des ouvrages méritant d’être traduits en français et de réfléchir aux financements possibles pour la traduction. Il s’agit d’œuvrer collectivement à mieux faire circuler les travaux innovants et d'affirmer que la pluralité des langues est indispensable à la pluralité des manières de faire des sciences sociales. Des engagements déjà exprimés dans le Manifeste pour une édition en sciences humaines réellement européenne.

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