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La Lettre n° 29 | Réflexion sur...
David Martimort
Crédits : M.-P. Boé
par David Martimort
Chargé de mission

Comment rester l’École en région ? L’exemple du pôle de Toulouse

Comme le notait mon collègue Alain Trannoy dans un récent numéro de cette Lettre en introduction de sa présentation du pôle marseillais, les centres de l'École en région font face à nombre de défis, de difficultés et parfois même de remises en cause. Ces défis sont non seulement induits par les « macro » transformations du paysage universitaire – transformations qui peuvent prendre des formes différentes suivant le contexte local (PRES, RTRA, etc.) – mais aussi par des conditions « micro » telles que les configurations initiales qui prévalaient avant même ces transformations. Les faibles effectifs de nos pôles régionaux les soumettent ainsi à la « tyrannie des petits nombres », tyrannie qui met en péril la représentativité de l’École dans des laboratoires d'accueil ou des structures de tailles toujours plus importantes en raison des regroupements que ces transformations induisent. On pense ici bien sûr au départ à la retraite de Jean Guilaine comme au décès de Jean-Jacques Laffont, deux éminents directeurs d'études qui avaient grandement contribué à l'ancrage et au développement de l'École dans le paysage universitaire toulousain. Dans de telles conditions, la difficulté, voire l'impossibilité pour chaque équipe d'exister de façon autonome nécessite parfois de trouver des partenaires d'autres disciplines et de devoir souvent ajuster les programmes scientifiques et d'enseignement à la contingence des nominations ou affiliations dans ces mêmes équipes.

Des implantations complexes

Ce préambule étant posé, il faut noter qu'une des spécificités toulousaines est la triple implantation de notre pôle entre les universités du Mirail où se trouvent les ethnologues du Laboratoire Interdisciplinaire Solidarités Sociétés Territoires (LISST), du Capitole pour les économistes du Groupe de Recherche en Économie Mathématique et Quantitative (GREMAQ), ou sur les Allées Jules Guesde pour les archéologues.

Un peu d'histoire récente permet de mieux comprendre cette structuration. Dès 2007, les archéologues du pôle se sont ainsi associés à l'Unité Toulousaine d'Archéologie et d'Histoire (UTAH) pour fonder le laboratoire Travaux et Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés (TRACES). Dans le même temps, l'équipe d'ethnologie s'est rapprochée du Centre Interdisciplinaire de Recherches Urbaines et Sociologiques (CIRUS), composé d'une équipe de sociologues et d'une équipe d'études urbaines pour former le LISST. Elle est aujourd'hui logée dans de très bonnes conditions à la Maison de la Recherche de l'université Toulouse Le Mirail. De leur côté, les économistes du GREMAQ se sont installés depuis une quinzaine d'années déjà dans les locaux de la Manufacture des Tabacs, au sein de l'université Toulouse 1 Capitole.

Les laboratoires du LISST comme du GREMAQ ont des tailles semblables et relativement importantes pour des UMR de province. Le LISST réunit ainsi plus de quatre-vingt membres statutaires et plus de cent dix doctorants et a pour tutelles le CNRS, l'université Toulouse Le Mirail (UTM), l'université Paul Sabatier et l'EHESS. Le GREMAQ, quant à lui, regroupe plus de soixante chercheurs et enseignants-chercheurs et quatre-vingt doctorants. Comme le LISST, le GREMAQ n'a pas moins de quatre tutelles : l'EHESS, le CNRS et l’INRA, mais aussi et surtout l'université Toulouse 1 Capitole. Dans les deux cas, la représentation de l'EHESS est numériquement faible et sans aucune mesure avec la place déterminante dans le développement du projet scientifique de ces laboratoires ou dans le fonctionnement des formations doctorales associées. Alors que les effectifs de l'EHESS au sein du LISST comportent deux directeurs d'études, quatre ingénieurs pour l'ethnologie, deux maîtres de conférences, un ingénieur en archéologie et une secrétaire pour l'ensemble, les effectifs EHESS du GREMAQ, bien que stables et sujets à quelques reconfigurations ces dernières années, ne comptent que deux directeurs d'études et un directeur d'étude cumulant.

Les projets scientifiques

Comme on peut aisément le constater, la complexité de nos implantations rend difficile la constitution de tout projet scientifique transverse.
Le Centre d'Anthropologie Sociale (CAS) a su développer des collaborations scientifiques pérennes (séminaire interdisciplinaire commun, participations croisées aux enseignements et séminaires d'équipe) ou centrées sur des projets plus ponctuels. Initialement exclusivement tournée vers l'Europe (dans une perspective dominante d'anthropologie historique), près de la moitié de cette équipe travaille aujourd'hui sur des terrains extra-européens contemporains (Asie, Amérique latine, Maghreb). Face à cette situation nouvelle, le Centre a choisi d'orienter sa politique scientifique vers des approches thématiques permettant de développer un point de vue comparatiste, les chercheurs qui travaillent sur d'autres aires culturelles que l'Europe conservant leurs contacts (et éventuellement leurs projets collectifs) avec leurs collègues à l'échelle nationale ou internationale. Les recrutements ou ralliements que le CAS a connus depuis une dizaine d'année ont tous été induits par ses principaux thèmes de recherche, qui lui valent une reconnaissance nationale et internationale. Par ordre d'ancienneté, la thématique à citer en premier lieu est celle du genre et de la parenté, animée depuis plus de vingt ans par Agnès Fine. Le second axe concerne l'anthropologie et la sociologie des religions, il regroupe le plus grand nombre de chercheurs. Les activités de ce groupe, animées notamment par le séminaire de l'EHESS de Jean-Pierre Albert et un séminaire de centre mensuel qu'il coordonne avec Anne Bouchy, directrice d'études à l'EFEO et affectée pour l'enseignement à l'université Toulouse Le Mirail, sont centrées sur des approches comparatives et un travail théorique de fond sur des phénomènes tels que la croyance et l'incroyance, le culte des morts, la morphologie et la fonction des rituels. L'équipe est par ailleurs à l'origine de la création du programme collectif « Le religieux dans la Cité » au sein de la MSH de Toulouse. Un troisième axe, plus récent, s'est mis en place autour de travaux sur les diasporas, la mémoire, les recompositions identitaires engageant le religieux ou d'autres formes d'appartenance pensées en termes ethniques ou territoriaux. Le quatrième axe, bien que prolongeant des recherches déjà anciennes dans l'équipe sur les savoirs de la nature, est en fait une thématique émergente. Cet axe vise en effet, grâce à des collaborations à l'échelle régionale – Parc national des Pyrénées, Conservatoire botanique national, laboratoire Géographie de l'environnement (GEODE) à l'université Toulouse Le Mirail – à promouvoir des travaux sur l'environnement, la perception des paysages, les politiques de patrimonialisation de la nature. Il s'agit là d'un domaine de recherche en pleine mutation, qui réunit un nombre croissant de chercheurs et d'étudiants, de plus en plus sollicités dans le cadre de projets collectifs. Chacun des axes organise la réflexion commune à travers un séminaire de centre mensuel qui contribue en même temps, à côté de réunions plus spécifiques, à l'encadrement des doctorants, aux relations avec des chercheurs extérieurs et à la coordination d'initiatives collectives. Sur un plan général, la politique du CAS est de multiplier les coopérations : projets communs avec les historiens de FRAMESPA (histoire moderne et contemporaine) et d'ÉRASME (antiquisants), avec les chercheurs travaillant sur l'Amérique latine, etc.

À l'échelle locale, le GREMAQ coexiste avec d'autres laboratoires aux programmatiques propres (ARQADE : économie du développement, LERNA : économie de l'environnement et des ressources naturelles). Cette proximité est à l'origine d'un regroupement dès 2007 au sein d'un réseau thématique de recherche avancée (RTRA), la Toulouse School of Economics. Cette recomposition à l'échelle locale s'accompagne aussi de la mise en place d'une nouvelle « gouvernance » qui tend à intégrer plus encore les différents laboratoires dans une structure qui réunit une centaine de chercheurs et une centaine de doctorants.

Récemment, et pour mieux maîtriser une croissance rapide, le GREMAQ a été amené à s'organiser autour d'un certain nombre de thématiques qui ont chacune une certaine visibilité internationale. Les principales, au vu des programmes de recherche de ses membres EHESS, concernent la théorie des incitations et ses applications à la décision publique ou l'économie industrielle. Le premier de ces groupes a bénéficié ces dernières années d'un financement ANR et a pu ainsi organiser des ateliers, notamment le « Structural Econometrics and Economic Theory » en décembre 2008 et le « Spring of Incentives » en mai 2009. Tous deux ont réuni quelques uns des plus talentueux jeunes économistes de ces domaines. Récemment, nous avons ainsi eu le plaisir d'accueillir Roger Myerson (Prix Nobel d'économie 2007) pour un Workshop en son honneur coorganisé par Michel Le Breton (professeur à l'université Toulouse 1) et moi-même.

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Michel Le Breton, Roger Myerson et David Martimort lors du Workshop on Mechanism Design and Game Theory, Toulouse, décembre 2009.

G. Fontagné – UT1

Plus régulièrement, quatre séminaires hebdomadaires sont organisés et financés par le GREMAQ (macroéconomie, microéconomie, statistiques et économétrie). Ces séminaires viennent en complément d’ateliers plus spécifiques.

Les formations doctorales

Le CAS est équipe d'accueil de la mention de master « Anthropologie sociale et historique » cohabilitée avec l'École. Il y a en moyenne cinquante inscrits en M1, une grosse vingtaine d'inscrits en M2 et chaque année sept ou huit nouveaux doctorants, ce qui correspond à un effectif cumulé d'une trentaine. Ils dépendent de l'école doctorale « Temps, Espace, Sociétés, Cultures » de l'université Toulouse Le Mirail, dont la co-accréditation par l'EHESS est en cours. La contribution de l'École aux enseignements se partage entre des enseignements spécifiques de M1 (D. Blanc, ingénieur d’études) et M2 (J.-P. Albert) et l'accréditation des séminaires de directeur d’études (DE) comme unité d’enseignement (UE) de M2 (A. Fine), les séminaires de J.-P. Albert et A. Fine étant par ailleurs comptabilisés au titre de la formation doctorale. Les chercheurs CNRS de l'équipe et les enseignants-chercheurs d'autres établissements que l'UTM assurent une large part des enseignements de master. La contribution de l'EHESS, quoique modeste, est donc proportionnellement significative. Elle a même été décisive dans la création du master.

Le programme doctoral Midi Pyrénées Sciences Économiques (MPSE) de l'université Toulouse 1 et le GREMAQ accueillent deux masters cohabilités avec l'École sur un total de quatre. Il s'agit du master « Économie mathématique et économétrie » qui attire traditionnellement les meilleurs étudiants choisissant de faire leurs études doctorales en économie à Toulouse et du master « Marchés et organisations », de création plus récente, master professionnel et recherche. Il y a en moyenne quatre-vingt inscrits sur l'ensemble des quatre masters et chaque année une vingtaine de nouveaux doctorants.

La contribution de l'École aux enseignements de l'école doctorale se partage entre des enseignements spécifiques de M2 et l'organisation de séminaires doctoraux comptabilisés au titre de la formation doctorale dans un diplôme universitaire, le Diplôme Européen d’Économie Quantitative Approfondie (DEEQA). À titre d'exemple, Jean Tirole enseigne en M2 un cours sur « Les crises financières et la liquidité ». Marc Ivaldi développe de la même manière son séminaire « Économie industrielle appliquée » qui consiste actuellement en une revue des méthodes et des modèles dédiés à l'analyse de la concurrence et de la régulation.

Pour ma part, j'enseigne en M2 un cours sur la « Théorie des incitations et ses applications à l'économie politique » qui complète un séminaire doctoral. Ces dernières années, les thèmes qui y ont été étudiés couvrent un large spectre : l'économie des partenariats public-privé, les avancées récentes de la théorie des incitations (problèmes de délégation, collusion dans les organisations, incitations dans une perspective dynamique, robustesse des institutions, etc.). Cette année le séminaire s'est élargi à d'autres compétences. Michel Le Breton et Wilfried Sand-Zantman, tous deux professeurs à l'université de Toulouse 1 Capitole ont ainsi rejoint notre groupe. Cet élargissement a aussi correspondu à une ouverture vers des nouveaux sujets : l'étude des mécanismes de marchés de droits à polluer et l'analyse des institutions politiques dans une perspective de « Mechanism Design ».