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La Lettre n° 49 | Échos de la recherche
Mona Ozouf
par Christophe Prochasson

Mona Ozouf

La chaîne de télévision France 5 a diffusé au début du mois de janvier un très beau documentaire de Juliette Senik consacré à Mona Ozouf. Tout y contribue à rendre le plus mérité des hommages à une historienne et une philosophe dont on ne dira jamais assez l’élégance de la pensée et de l’écriture. La réalisation du film, sa photographie, son montage, sa bande sonore sont au niveau de la personne dont le portrait est brossé : images soignées, délicatesse des couleurs, harmonie des sons, retenue de propos jamais grandiloquents, jamais complaisants. Tout est suggéré avec distinction. Rien n’est asséné.

Les lecteurs de Composition française ont découvert dans le documentaire, avec une certaine familiarité, les lieux évoqués dans cette réflexion autobiographique, un peu comme l’on découvrirait les quartiers de Leeds dans lesquels vécut Richard Hoggart après avoir lu 33 Newport Street. L’école bretonne, la petite maison de vacances jouxtant la plage, les paysages aussi où Mona Ozouf sait distinguer l’énigmatique frontière qui sépare la Normandie de la Bretagne. Saisies lors de déplacements ferroviaires, les évocations de Mona Ozouf établissent un lien entre film et livre, entre livre et film. Il est rare de voir un documentaire si fidèle à un ouvrage aussi intimiste.

De même que d’émouvantes photographies sur l’écran ! Celles de l’enfance bretonne bien sûr comme celles de l’École normale de Sèvres. Celles aussi de cette bande de copains communistes, parmi lesquelles se de dégagent les visages de François Furet et de Jacques Ozouf, l’homme à la large mâchoire et au physique hollywoodien. Mona Ozouf en livre des commentaires où s’exerce son art de la retenue et de l’esquisse qui en disent tant sur les hommes et les femmes, sur les choses de l’esprit comme sur la nature, les maisons ou les objets.

De toutes ces phrases sitôt dites sinon envolées, de toutes ces confessions à demi arrachées, il en est une qui mérite attention car elle est l’une des clés du personnage. Mona Ozouf fait l’aveu du ressenti de ce qu’elle nomme la « distance sociale » affrontée dans l’épreuve de la classe préparatoire. Dans la suite de sa vie, elle n’oublia jamais qu’elle venait d’un petit village du Léon et qu’elle était fille d’instituteurs, surtout lorsqu’il s’agit de se décider à apporter une réponse aux sollicitations pressantes de l’Académie française. À Pierre Nora qui se navre toujours de son refus, elle redit avec une fermeté non jouée qu’il serait préférable de n’en plus parler. On n’en reparlera donc plus.

De cette distance sociale, à l’encontre de certains de ses collègues qui prospérèrent dans les sciences sociales, Mona Ozouf ne fit jamais commerce. Elle ne joua jamais de ses origines. Elle y resta simplement fidèle.