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La Lettre n° 48 | Départ à la retraite
Marie-Claude Barré
Crédits : Jean-Michel Barré
par Jacques Revel

Marie-Claude Barré quitte le service de la formation doctorale Histoire et Civilisations

Il arrive que l’institution s’incarne dans des personnes. Elle cesse alors d’être une abstraction pour prendre un visage familier. Marie-Claude Barré va quitter l’École dans quelques semaines. Elle y est entrée en septembre 1971. Elle y aura donc passé toute sa vie professionnelle – plus que la plupart d’entre nous sans doute : quarante années, une vie professionnelle, à dire vrai une vie tout court.

Je n’étais pas encore dans la maison quand elle y est entrée, et je ne sais rien de ce qu’a pu être l’arrivée d’une jeune femme, qui venait d’acquérir une formation généraliste de secrétaire, dans un monde dont je puis au moins imaginer qu’elle l’a trouvé étrange. En ces années, la VIe Section de l’EPHE était encore une institution familiale, chaleureuse, mais déjà complexe et compliquée. Elle était le résultat plutôt heureux, en tout cas séduisant, d’un improbable bricolage administratif, de dérogations incessantes, qui faisaient la fierté de ses membres et le tourment de ceux qui avaient à charge de faire tourner les choses. Pourtant, à force de bonne volonté, on finissait par inventer des solutions. C’est dans ce milieu dépaysant que Marie-Claude Barré a appris son métier – mieux vaudrait dire : ses multiples métiers. Elle fit ses classes au Centre de recherches historiques, avant que Jacques Le Goff l’appelle au secrétariat de la présidence en 1974. Elle retourna au CRH trois ans plus tard, puis, à partir de 1986, elle assura la responsabilité du service des enseignements. Marc Augé fit à nouveau appel à elle à la présidence en 1994 ; elle voulut bien y rester avec moi jusqu’en 2000. Et tous savent que, depuis onze ans, elle administre d’une main ferme et secourable la formation doctorale et la mention Histoire. Elle est, entre temps, devenue ingénieure d’études. Mais sous ce titre, sans jamais en sortir, elle a pratiqué plusieurs versions bien différentes de l’École.

Ce résumé est trompeur. Il témoigne certes d’une fidélité de longue durée, mais il ne peut dire pas à quel point l’institution a changé en profondeur pendant ces quatre décennies. Marie-Claude Barré ne s’est pas contentée de subir ces changements, pour le meilleur et parfois aussi pour le moins bon. Elle fait partie de celles et ceux qui ont eu pour tâche de les mettre en œuvre et de nous les rendre acceptables. Dans les différentes responsabilités qu’elle a assumées, elle a été associée en première ligne aux mises à jour nécessaires ainsi qu’aux trains successifs de réformes que l’École a connus. Elle l’a fait avec le calme et l’autorité tranquille que chacun lui connaît, sans se laisser impressionner, sans chercher non plus à forcer les choses. Collègues et étudiants ont toujours su qu’il était possible de lui demander aide et conseil, et parfois tout simplement de l’interroger sur les raisons des choses quand ils peinaient à les comprendre. Sa patience m’a toujours paru inépuisable et j’ai, plus qu’à mon tour, le sentiment d’en avoir parfois abusé. Je sais n’avoir pas été le seul à le faire.

Lorsqu’une collègue s’identifie autant à l’institution qui nous rassemble, on est en droit de s’inquiéter. Elle s’apprête à nous quitter et nous allons devoir apprendre à vivre sans elle. Marie-Claude Barré nous rassurera sans doute en nous rappelant que personne n’est irremplaçable et que l’École saura inventer les ressources dont elle a besoin. Elle aura raison, une fois de plus. J’écrivais en commençant qu’il arrive qu’une institution s’incarne dans la personne de celles et ceux qui l’ont si bien servie. Mais l’École est faite, en retour, de tout ce que les uns et les autres lui ont apporté, de leur présence, de leur manière de faire et d’être, en un mot de leur générosité. C’est dire que Marie-Claude Barré ne nous laissera pas de sitôt.