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La Lettre n° 46 | Disparition
par Marie-Vic Ozouf

Huguette Bertrand

Huguette Bertrand nous a quittés le 21 septembre dernier. Entrée à l’École pratique des hautes études en octobre 1959 comme vacataire dans le Laboratoire de cartographie dirigé par Jacques Bertin, elle y a exercé toute sa carrière, d’abord comme chef de travaux, puis, à partir de 1979, comme maître de conférences.

Après ses études de géographie et de cartographie à la Sorbonne, Huguette Bertrand a en effet rejoint l’équipe des cartographes rassemblés autour de Jacques Bertin pour fonder les méthodes de la sémiologie graphique et explorer les possibilités de spatialisation des enquêtes en sciences sociales. C’est ainsi qu’elle participe à la rédaction de la Sémiologie graphique : les diagrammes, les réseaux, les cartes, publiée par Jacques Bertin en 1967 (Paris, Mouton- Gauthier-Villard), ouvrage majeur de réflexion méthodologique et épistémologique sur la cartographie et la graphique. Tout au long de sa conception et après sa diffusion, ce travail de définition d’outils et d’expérimentation a nourri de nombreuses applications dans le cadre des collaborations entreprises avec les chercheurs de l’École. En un temps où les travaux cartographiques étaient souvent anonymes, ce qui rend d’ailleurs malaisée la mesure exacte de ses multiples contributions, Huguette Bertrand a réalisé les cartes et graphiques de nombreuses productions scientifiques (articles, thèses, ouvrages). On peut retrouver les traces de son œuvre dans plusieurs revues : les Annales E.S.C., principalement, mais aussi les Annales de démographie historique, Études rurales, les Cahiers d’études africaines, les Cahiers du monde russe et soviétique. Elle a également réalisé l’appareil cartographique d’ouvrages marquants des Éditions de l’EHESS, comme les thèses de Jean Chesneaux, Annie Kriegel, Gilles Sautter, Michèle Perrot, Jean Lojkine, Lucette Valensi, et d’autres. Deux vastes entreprises éditoriales ont par ailleurs mobilisé le talent d’Huguette Bertrand : les Matériaux pour l'histoire religieuse du peuple français : XIXe-XXe siècles publiés par le chanoine Fernand Boulard (Paris, Éd. de l’EHESS, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Éd. du CNRS, 1982) et l’Atlas de la Révolution française dont elle est co-signataire du volume 2 sur l’enseignement (Paris, Éd. de l’EHESS, 1987). Avec les historiens impliqués dans ces ouvrages et d’autres, elle a noué des liens solides comme ce fut le cas avec Martine Sonnet (autour de l’éducation des filles), Odette Chapelot (colloque Pierre et métal) ou Françoise Piponnier (recherches archéologiques sur le village sicilien de Brucato).

Dans la conduite de sa réflexion et de son élaboration cartographique, Huguette Bertrand déployait un sens aigu du travail collectif. Elle a fait partie de ceux qui ont une attente exigeante de la collaboration entre cartographes et spécialistes des sciences sociales. Elle mettait toute son application et son inventivité à forger les représentations les plus aptes à traduire et à faire progresser la recherche, donnant à la spatialisation des données sa pleine valeur heuristique. Sa générosité envers les chercheurs et étudiants à qui elle aimait transmettre, mais aussi son excessive modestie restent dans la mémoire de tous ceux qui ont travaillé avec elle. Enfin, Huguette Bertrand n’avait pas seulement le souci de la précision et de la rigueur scientifique. Elle possédait un véritable sens esthétique. C’est pourquoi ses réalisations cartographiques sont à la fois démonstratives et élégantes.