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La Lettre n° 28 | Réflexion sur...
Élisabeth Dutartre, Brigitte Mazon et Judith Lyon-Caen
Crédits : N. Veysset-EHESS

La politique documentaire de l’EHESS

Résumé du Rapport sur la politique documentaire de l’EHESS tel qu’il a été présenté au conseil scientifique du 15 décembre 2009 par Judith Lyon-Caen, dans le cadre de la mission confiée par François Weil à Brigitte Mazon, Élisabeth Dutartre et Judith Lyon-Caen sur la politique documentaire à l’École.

« Parlant ici en notre triple nom, puisqu’il s’agit d’un travail mené avec Élisabeth Dutartre, ingénieure d’études et bibliothécaire du Centre de recherches politiques Raymond Aron, et Brigitte Mazon, ingénieure de recherches, responsable du service des archives de l’EHESS, je voudrais ce soir présenter rapidement les interrogations qui sont à l’origine de la mission qui nous a été confiée, passer en revue les différentes questions que nous avons abordées, et présenter les principales conclusions du rapport dont une version complète a été distribuée aux membres du conseil scientifique.

À l’origine de cette mission, il y avait trois interrogations : la première portait sur certains dossiers « chauds », concernant la documentation de l’École, dossiers qui nécessitent un pilotage rapide et éclairé, et donc, en premier lieu, la situation des bibliothèques des aires culturelles de l’École vis à vis de la BULAC. François Weil et Hamit Bozarslan nous ont demandé de procéder à un état des lieux aussi précis que possible, afin de prendre en compte les positions des différents acteurs de l’École concernés par ce dossier (directeurs de centres de recherche et bibliothécaires) dans la négociation qui se poursuit avec la BULAC. La seconde interrogation concernait les modalités du déménagement provisoire et la manière dont les différents types de documentation présents à l’École, et en particulier au 54 (livres, littérature grise, papiers de chercheurs pouvant constituer ou déjà constitués en fonds d’archives, audiovisuel), allaient être affectés par le déménagement – il s’agissait aussi de savoir si, et comment, ce premier déménagement pouvait reconfigurer l’état de la documentation à l’École. Il ne s’agit pas en effet de déménager, au mieux, un existant passablement complexe, mais aussi de profiter du mouvement pour évaluer et repenser l’ensemble. Il va de soi qu’au cours de la mission, le déménagement a pris un visage beaucoup plus concret et que les questions de départ se sont considérablement précisées. Enfin, un troisième volet portait sur le projet Condorcet, et sur la manière dont l’École pouvait contribuer à imaginer, puis à nourrir, la configuration documentaire du futur Campus. Dans l’ensemble, il s’agissait donc de s’appuyer sur un relevé de l’existant pour présenter des pistes de travail, plus ou moins engagées à l’heure actuelle, qui permettront à l’École de construire et d’affirmer une politique documentaire forte et cohérente. Les déménagements et les recompositions qui attendent l’École dans les mois et les années à venir posent de manière aiguë la question du devenir et des formes du déploiement du très riche ensemble de fonds documentaires et archivistiques, dont certains demeurent insuffisamment valorisés, qui existent au sein de notre institution. Les déménagements, ainsi que l’urgence des questions posées par les négociations avec la BULAC , fournissent une occasion de se saisir enfin de ces dossiers dans leur ensemble. Nous espérons que le travail réalisé ici permettra de faire avancer la réflexion.

Face à la triple commande que je viens de décrire, nous avons procédé de la manière suivante (ici, je présente rapidement le plan du rapport qui vous a été distribué). 

Un état des lieux aussi détaillé que possible des bibliothèques et différents gisements de documentations à l’École : on verra qu’à côté des bibliothèques constituées (les huit bibliothèques aires culturelles, la bibliothèque du CPRA, les trois bibliothèques du CRH – CARE, GAHOM, LDH – qui, comme celle du CPRA, sont intégrées au réseau Babylone et au réseau national SUDOC, mais aussi la bibliothèque Gernet-Glotz, celle du Centre Koyré, du LAS et les implantations provinciales, à Marseille, Lyon et Toulouse), il existe des bibliothèques d’équipes, aux fonds riches mais souvent moins valorisés et des fonds documentaires non constitués en bibliothèques (CRH, Centre d’analyse et de mathématiques sociales, Centre des normes juridiques) mais que le déménagement impose de prendre en charge (les situer, les inventorier) : comme on l’a dit, c’est aussi une occasion unique de valoriser ces gisements mal connus qui pourraient, dans l’avenir, être mieux utilisés et mieux valorisés (à Condorcet, et peut-être avant).

Cet état des lieux fait également apparaître l’importance des fonds audiovisuels (l’iconothèque russe et soviétique et la vidéothèque du 105, qui manque cruellement de crédits). Enfin, et surtout, il souligne l’importance du réseau professionnel organisé autour de ces ressources : celui du GDBE, constitué en 2005, qui se réunit régulièrement pour échanger des informations, faire le point sur les pratiques quotidiennes et les questions de plus long terme posées par ces fonds. Ce réseau, extrêmement soudé, est actuellement le seul lieu de l’École où se pense réellement une politique documentaire. Il est très impliqué,  notamment, dans la définition de la politique autour des ressources électroniques et, on va le voir, dans la réflexion autour du futur Campus Condorcet ?

À propos de la BULAC, Élisabeth Dutartre et moi-même avons rencontré longuement tous les bibliothécaires et de nombreux directeurs de centre concernés par le projet. Le rapport fournit des annexes détaillant l’état d’avancement variable du partenariat. Il montre aussi l’inégal degré d’intégration des bibliothèques AC de l’École au projet, souligne les réticences de certains, en particulier pour les domaines dans lesquels la BULAC elle-même ne semble pas particulièrement forte. Il apparaît en effet que le partenariat le plus harmonieux (celui qui existe avec la bibliothèque du CERCEC, qui doit rester une bibliothèque de recherche associée à la BULAC) se soit développé dans le domaine où la BULAC avait de gros fonds et une expertise, de sorte que l’articulation entre les deux institutions (en termes de dépôt, de catalogage, d’acquisitions de ressources électroniques) a pu être pensée dans le respect de l’institution partenaire. Il n’en est pas de même, loin de là, dans les autres cas où le partenariat avec la BULAC suscite réticences et incertitudes, en particulier pour ce qui concerne les bibliothèques actuellement hébergées à la maison de l’Asie.

La troisième partie de notre rapport porte sur un aspect de la documentation particulièrement développé à l’École, celui qui concerne les Archives, dirigée par Brigitte Mazon. Je parle ici en son nom, et sous son contrôle. L’École, dans ce domaine, est pionnière : pionnière dans sa prise en charge, qui, très vite, est allée bien au delà des archives administratives pour s’ouvrir aux archives scientifiques et par là contribuer à définir, à modeler, ce que sont des fonds d’archives de chercheurs en sciences sociales. Le rapport présente un état à ce jour des fonds de centres ou de chercheurs pris en charge par le service des archives ; il évoque le développement des digital humanities et le souci de leur conservation et, surtout, présente le projet de ce que pourrait être une véritable plate-forme d’archives des sciences sociales, où s’élaborerait, pour l’École et au delà, des politiques de collecte de traitement, de conservation et d’exploitation de fonds savants, individuels (archives de chercheurs) et collectifs (archives d’enquêtes).

On en vient ainsi aux questions posées par le déménagement annoncé au cours de l’année 2010. Comme je l’ai dit, le chantier a beaucoup avancé : il s’agit de faire face au problème de l’amiante (je n’y reviens pas ici, mais il va de soi qu’il concerne au premier chef les fonds documentaires dont certains, comme ceux de la bibliothèque du CEAf, sont actuellement gelés), de déployer des outils de relevé, de gestion, d’évaluation des fonds, de poser des questions de stockage et de redéploiement dans les nouveaux bâtiments, de mettre en place les réseaux humains qui vont accompagner le processus (réseau des correspondants archives, actuellement une trentaine) ; enfin, le choix a été fait de prendre en charge réflexivement l’ensemble de l’opération en y associant Yann Potin, archiviste-paléographe en charge d’un séminaire sur l’histoire et l’anthropologie de la mise en archives, qui consacrera plusieurs séances de travail à la fois pratiques et réflexives à une observation participative de la collecte des papiers actuellement présents dans le bâtiment du 54, bd Raspail.

Pour finir, quelques pistes concernant le projet Condorcet : la première concerne la documentation audiovisuelle, dont on a dit combien elle manquait de moyens et de valorisation. Intégrée dans un ensemble documentaire mutualisé et plus vaste, ouverte sur des formations aux métiers de l’image et à la recherche sur l’image qui seraient présentes sur le campus, cette documentation très riche pourrait gagner une visibilité qui lui manque aujourd’hui cruellement. Il importe, d’ici là, de la préserver, en développant notamment des partenariats avec d’autres institutions (Société française d’anthropologie visuelle, INA, Comité du film ethnographique). La seconde piste concerne la bibliothèque « cœur de Campus ». Nous nous sommes ici fait l’écho des très riches discussions qui se sont développées entre les bibliothécaires des futurs partenaires, en particulier Paris I et l’Ined, dès le lancement du projet. Tous se sont en effet saisis de la question de la future bibliothèque : les premiers rapports dessinent en effet un ensemble documentaire construit à partir de la mutualisation des ressources présentes chez les partenaires. Or, ce projet semble irréaliste, parce que la mise en commun de ces fonds parfois disparates ne suffira pas à constituer l’épine dorsale d’une vraie bibliothèque de recherche en SHS ; ensuite, ce projet risque de détruire ce qui fait la valeur même des bibliothèques de recherche telles qu’elles existent aujourd’hui. Des fonds cohérents, spécialisés, évoluant en étroite relation avec les chercheurs, mis en valeur par des personnels formés à l’accompagnement à la recherche. Ils abritent souvent des ensembles documentaires rares, où voisinent imprimés, littérature grise, archives et par lesquels peuvent se saisir l’histoire et l’évolution des pratiques disciplinaires. La mise à plat voulue par la mutualisation serait dommageable : c’est pourquoi les bibliothécaires réunis dans ces discussions imaginent plutôt l’articulation, autour d’une bibliothèque de recherche « généraliste », de bibliothèques spécialisées comme autant de lieux de savoir singuliers, et dont les personnels, associés à la bibliothèque centrale pour les questions d’acquisition et de développement des fonds, proposeraient aux chercheurs, débutants ou confirmés, un véritable accompagnement à la recherche. Cette discussion sur la place des bibliothèques de recherche, dont la mise en valeur nous semble être un véritable atout pour le futur Campus (manière aussi de se distinguer de bibliothèques universitaires), ouvre aussi sur la question du Centre d’archives des sciences sociales dont j’ai parlé tout à l’heure. La plate-forme d’archives de sciences sociales imaginée au sein de l’École pourrait être en effet un lieu de partage des expériences et de promotion de manières de faire (de collecter, d’articuler, de valoriser) qui contribuerait puissamment à l’originalité de la politique documentaire du campus, en l’insérant dans un réseau européen de réflexion sur les archives scientifiques aujourd’hui en plein essor.

Pour conclure, nous voudrions appeler à la mise en place d’une véritable politique documentaire au sein de l’École : la richesse des fonds (bibliothèques, audiovisuel, archives) actuellement présents à l’EHESS peut constituer un important facteur de rayonnement et d’attractivité pour l’École, aussi bien dans la configuration actuelle que dans l’hypothèse d’un redéploiement futur sur le campus Condorcet. Ces fonds sont actuellement pris en charge par un réseau dense et actif de bibliothécaires et d’archivistes, mais ils doivent être davantage mis en valeur dans le cadre d’une politique documentaire à l’échelle de l’établissement. Cette politique, dotée de vrais moyens humains, matériels et financiers, devra mobiliser toutes les ressources existantes et reposer sur une synergie entre enseignants-chercheurs, étroitement associés aux politiques d’acquisition et de collecte, et les personnels chargés des bibliothèques et des archives, qui peuvent également jouer un rôle majeur dans l’accompagnement et la formation à la recherche des étudiants. Dans ce cadre, la politique documentaire peut jouer un rôle majeur dans la politique scientifique de l’établissement, dans le court terme mais aussi, et surtout, dans la perspective du déménagement : il nous semble particulièrement important que les consultations qui vont s’ouvrir avec le chef de projet pour la bibliothèque du futur Campus prennent largement en compte les questions et les propositions de tous les bibliothécaires, documentalistes et archivistes des partenaires du projet. Ce sont eux qui ont la meilleure connaissance de leurs fonds ; souvent, ils souffrent du manque de moyens et ont beaucoup réfléchi à aux modes de valorisation et d’articulation, dans un contexte marqué par l’essor du numérique et un renouvellement profond du débat sur les bibliothèques (comme en témoignait, par exemple, un colloque tenu à l’Enssib au mois de novembre ainsi que les nombreuses innovations mises en place à l’étranger). La réussite d'une politique documentaire innovante, à l'École et au delà, passe donc aussi par leur association aux discussions et aux décisions. »