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La Lettre n° 42 | Présentation

Les Ateliers de l’EHESS en Europe centrale

Au début des années 1990, à Budapest, Prague, Varsovie et Bucarest, l’EHESS inaugurait les Ateliers d’Europe centrale qui, au lendemain de la chute des régimes communistes, devaient former ces nouveaux « compagnons du Tour d’Europe centrale », selon l’expression de Rose-Marie Lagrave, qui en était l’inspiratrice. Ainsi qu’elle l’explique dans Voyage aux pays d’une utopie déchue (PUF, 1998), le dispositif devait en effet « transmettre moins des savoirs que les mots et les gestes pour faire des sciences sociales », avec comme seule formule l’interdisciplinarité, pour s’adapter à la variété des cadres locaux – université, Académie des sciences, centre français. Accueillis sur place par des collègues nombreux, avec lesquels, pour les premiers, les liens s’étaient déjà noués durant les années de dissidence, les enseignants-chercheurs français s’y sont succédé, soit quelques centaines au total depuis près de vingt ans, pour intervenir dans les séminaires.
Si l’Atelier fut d’abord conçu comme « la rencontre de deux mondes », les mondes des Ateliers ont aujourd’hui changé tout en conservant l’esprit d’Atelier, grâce aux étudiants qui y ont été formés et diplômés, et qui l’essaiment aussi dans leurs travaux de recherche comme en témoigne l’ouvrage qui vient de paraître aux Éditions de l’EHESS, sous la direction de Rose-Marie Lagrave, Fragments du communisme en Europe centrale. Certains de ces anciens étudiants occupent maintenant des postes universitaires dans leur pays, ces héritiers perpétuent le projet d’interdisciplinarité et d’échange critique de ses fondateurs, tout en adaptant cette relève dans un nouvel horizon de coopération, celui de la construction d’un espace européen de la formation et de la recherche.
L’EHESS, avec l’aide et la disponibilité des services administratifs de la coopération internationale, a choisi d’organiser cette coopération en confiant la coordination de chaque Atelier à différents responsables dont la qualité principale est leur désir de s’engager dans ces programmes et du travail partagé avec les étudiants et universitaires des pays concernés. Plusieurs personnes ont accompli ces missions ; ce sont les responsables actuels qui livrent dans ce numéro, l’histoire, la situation présente et les évolutions futures de chaque Atelier.

À Budapest (Hongrie)

Responsables : Gábor Sonkoly, université Eötvös Loránd, et Marie-Vic Ozouf-Marignier, EHESS.
L’histoire de l’Atelier, devenu Centre franco-hongrois en sciences sociales, de l’université Eötvös Loránd (ELTE) de Budapest remonte au-delà de sa fondation effective en 1989 (le renouvellement de la convention EHESS-ELTE est en cours). En 1968, un colloque franco-hongrois a été organisé à Budapest à l’initiative de Fernand Braudel. Il réunissait des historiens français et hongrois parmi les plus éminents et inaugura une période de circulation intellectuelle entre les chercheurs des deux pays. Il revient à Rose-Marie Lagrave et György Granasztói de formaliser les liens entre l’EHESS et l’université ELTE sous la forme d’un Atelier de formation à la recherche en sciences sociales en 1989. L’objectif était d’assurer aux jeunes diplômés et doctorants hongrois l’intégration aux sciences sociales inspirées du courant des Annales.

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L’Atelier, sur la campus Tréport de la Faculté des Lettres

D. Csizmadia

Une coopération entre l’université Eötvös Loránd, l’Académie hongroise des sciences, l’Institut français de Budapest et l’École des hautes études en sciences sociales a permis de poursuivre depuis plus de vingt ans un programme de formation de jeunes chercheurs, de colloques et de publications. Rose-Marie Lagrave et Jacques Revel en ont été les responsables actifs au sein de notre établissement jusqu’en 2007.
Ainsi, chaque année, six chercheurs de l’EHESS se rendent à Budapest pour animer une journée de conférences devant un public d’une trentaine d’étudiants. D’autre part, l’EHESS et l’Atelier sélectionnent chaque année plusieurs étudiants pour suivre les cursus de master et de doctorat proposés à l’EHESS. Les bourses du gouvernement français accordées sur critères de sélection stricts, les bourses Erasmus et les accords de co-tutelle permettent de financer leur mobilité. Douze thèses ont ainsi été soutenues à l’EHESS ou en co-tutelle et plusieurs thèses hongroises ont été préparées par des DEA validés à l’EHESS. Enfin, depuis 2011, l’EHESS est partenaire du programme Erasmus Mundus TEMA : « Territoires européens  (civilisation, nation, région, ville) – Identité et développement », piloté par l’Atelier. Outre les journées d’études et colloques organisés en partenariat franco-hongrois à Budapest et à Paris, l’Atelier mène une politique active de traduction d’ouvrages et de travaux français de sciences sociales dont les auteurs sont souvent membres de notre École.
Le Centre franco-hongrois réunit actuellement une quinzaine d’enseignants et de chercheurs qui, pour majorité, ont fréquenté notre programme de coopération, aujourd’hui coordonné par Gábor Sonkoly à Budapest et Marie-Vic Ozouf-Marignier à Paris.
Partenaires : Académie hongroise des sciences, Institut français de Budapest.
Financement : EHESS, ELTE, Académie hongroise des sciences (la prise en charge des voyages est assumée par l’EHESS, celle des séjours par ELTE, en partenariat avec l’Académie des Sciences).
Thème de l’année 2010-2011 : « Historiographies » (2009-2010 : « Cultures européennes » ; 2008-2009 : « Espace et ville » ; 2007-2008 : « Nation et nationalisme »).
Programme d’enseignement doctoral et de master, programme Erasmus Mundus TEMA, organisation de colloques, publications.
Bilan : six à sept conférenciers par an depuis 1991-1992.
Doctorants actuellement inscrits à l’EHESS : dix (bilan cumulé : une trentaine).
Étudiants actuellement inscrits en master 2 à l’EHESS : trois.
Soutenances de thèses : douze (bilan cumulé).
Étudiants inscrits au programme de conférences de l’atelier en 2010-2011 : vingt-et-un doctorants et onze étudiants de master.

À Prague (République Tchèque)

L’Atelier de formation en sciences sociales, créé en 2002, est organisé par le Centre français de recherche en sciences sociales (CEFRES) en partenariat avec l’université Charles à Prague et l’EHESS à Paris. Il s’adresse à des étudiants de doctorat et dispense un séminaire annuel thématique et interdisciplinaire (huit séances par an), en français.

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Ancien site de l’Atelier

CEFRES

L’encadrement scientifique (choix des thématiques et des intervenants, élaboration du programme, sélection et évaluation des étudiants) est assuré par le directeur du CEFRES (Marie-Claude Maurel de 2002 à 2010, Françoise Mayer depuis), en concertation étroite avec Morgane Labbé, représentant l’EHESS, et les directeurs des institutions partenaires. L’Atelier est suivi par une vingtaine de doctorants francophones. Chaque année trois à quatre thèses sont soutenues par des doctorants du CEFRES. Une convention a été signée en juin 2010 par le président de l’EHESS, le doyen de l’université Charles de Prague et la directrice du CEFRES.
L’Atelier de formation en sciences historiques a été fondé en 2007-2008. Organisé dans le cadre d’un partenariat avec la Chaire d’histoire de la Faculté des Lettres de l’université Charles à Prague, l’ouverture de cet Atelier a apporté un nouvel auditoire de jeunes historiens francophones (trente-cinq participants par séance).

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Déménagement en cours

CEFRES

L’Atelier fait appel aux compétences des historiens de l’EHESS (échanges Erasmus sous la responsabilité de Pierre Monnet) et des grandes universités françaises.
La formation à la recherche en sciences sociales a toujours été un point fort de la mission du CEFRES depuis sa création en 1991. Aux coopérations bilatérales dans lesquelles elle s’inscrivait dans les années 1990, s’est peu à peu substitué un format plus complexe d’échanges en articulation avec des programmes Erasmus coordonnés par nos partenaires tchèques. Par ce biais, des programmes plus ambitieux ont pu être envisagés, avec un plus grand nombre d’intervenants invités, dans des cycles suffisamment riches pour constituer des cours semestriels à l’intérieur de cursus universitaires.

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Atelier « Histoire »

CEFRES

Le cycle de sciences historiques, avec des séances hebdomadaires sur l’ensemble de l’année, s’appuie ainsi principalement sur un programme Erasmus coordonné par le médiéviste Martin Nejedly. La contribution du CEFRES permet surtout d’ouvrir le cycle très orienté thématiquement vers l’étude du Moyen-Âge à celle d’objets plus contemporains.
L’Atelier en sciences sociales constitue un défi plus important en raison de sa vocation pluridisciplinaire et de la difficulté à fidéliser un public moins homogène autour d’une thématique donnée. Il a été repensé cette année à partir d’une coopération particulièrement dynamique des philosophes tchèques impliqués dans un programme Erasmus Mundus sur les philosophies allemande et française. En associant les moyens de ce programme à ceux qu’offre la convention entre l’université Charles, l’EHESS et le Cefres, les bases d’un nouvel Atelier ont été établies, sur le thème du corps en sciences sociales. Articulé autour des réflexions menées par des phénoménologues opérant dans le programme Erasmus Mundus (notamment son coordonnateur, Karel Novotny (université Charles), et Anne Gléonec (université Paris 7) qui en assure les enseignements en français), cet Atelier permet de rassembler des milieux de chercheurs engagés à partir de disciplines différentes dans des travaux sur le corps. Il a pu débuter en février et s’adresse à des publics de philosophes, historiens, sociologues, ou anthropologues. Les huit conférences prévues ce semestre sont enregistrées et publiées en ligne, afin d’en élargir la diffusion. Les archives ainsi constituées renouent avec la tradition des anthologies en sciences sociales produites dans les années 1990 et qui furent un outil majeur des programmes de formation à la recherche entre le CEFRES, l’université Charles et l’EHESS.

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Nouvelle adresse

CEFRES

Les deux ateliers témoignent chacun à leur manière de l’évolution du contexte de coopération en République tchèque et plus généralement en Europe centrale et de la place qu’y occupent désormais les programmes européens, type Erasmus. Ce contexte oblige à penser les échanges de façon plus complexe, à partir de partenariats multilatéraux. Grâce à une connaissance approfondie et constamment actualisée des milieux de recherche locaux et de leurs réseaux internationaux, le Cefres peut assurer un rôle essentiel d’interface entre les multiples acteurs engagés dans ce type de coopération et c’est de plus en plus ainsi qu’il est perçu et sollicité.

À Varsovie (Pologne)

Coordination : Dorota Jurkiewicz-Eckert, université de Varsovie (UW), et Morgane Labbé, EHESS.
Créé en 1992, l’Atelier de l’EHESS à l’université de Varsovie est à la fois le lieu et le projet d’une formation franco-polonaise à la recherche en sciences sociales, mettant en avant l’échange interdisciplinaire à partir d’un dispositif associant séminaires, conférences et tutorat des étudiants.

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Entrée de l’université de Varsovie

P. Rodak

L’initiative, portée par Rose-Marie Lagrave, l’a conduite à travailler tour à tour avec Jean-Claude Schmitt et Morgane Labbé, et à nouer ce partenariat à Varsovie par des liens réguliers et fidèles avec leurs collègues, professeurs à l’université, notamment Joanna Gornicka et Marcin Kula, et, au cours des premières années, Stefan Amsterdamski de l’Académie polonaise des sciences.
Depuis près de vingt ans l’Atelier accueille chaque année des interventions d’enseignants-chercheurs envoyés par l’EHESS, dans un séminaire thématique spécifique. L’organisation est assurée sur place par un coordinateur ; au cours des dix dernières années, sur un poste d’ATER ou de PRAG de l’EHESS, elle fut confiée à un doctorant français ; depuis cette année, à une assistante polonaise de l’université de Varsovie. Jusqu’à l’année dernière l’Atelier était accueilli dans le Centre de civilisation française, centre relevant des services culturels de l’ambassade de France et rattaché à la faculté de romanistique. Dans ce cadre, l’Atelier accueillit un nombre croissant de doctorants français séjournant en Pologne pour leur recherche, qui ont activement participé à son fonctionnement et ses activités (assistance au séminaire, charge de cours), donnant un caractère franco-polonais unique à cette coopération. Ce fonctionnement s’appuyait depuis l’origine sur un financement mixte partagé entre l’EHESS, l’ambassade de France et le ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE), qui s’est progressivement réduit pour donner une part croissante au financement européen, dans le cadre de conventions Erasmus signées entre l’EHESS et l’UW. Par ailleurs, par l’intermédiaire de son pôle à Lyon, l’EHESS et l’UW sont partenaires dans le nouveau master européen en histoire et archéologie médiévales (HISTARMED).

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La bibliothèque universitaire

P. Rodak

Cette année, afin d’assurer une assistance à la fois élargie et ciblée aux interventions des chercheurs français, les interventions ne sont plus données dans un séminaire spécifique et thématique, mais dans des séminaires déjà existants dans les différents instituts ; ces séances sont cependant conçues en concertation dans une perspective interdisciplinaire. Le recul du français chez les étudiants polonais conduit par ailleurs à introduire des exposés en anglais, ou sinon à assurer leur traduction. Une journée doctorale réunissant des étudiants français et polonais des différentes disciplines viendra clore la session.

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L’entrée de la bibliothèque

P. Rodak

Une nouvelle organisation, mise en place cette année, se substitue au partenariat avec les instances diplomatiques et lie désormais l’EHESS et l’UW autour d’un programme de coopération qui entend mettre davantage l’accent sur la mobilité des enseignants et des étudiants des deux établissements et l’organisation d’activités communes autour de projets de recherche et de journées doctorales. Fixé dans une convention signée en septembre dernier, ce dispositif bilatéral de formation est entièrement intégré dans l’université de Varsovie et s’appuie sur un réseau de jeunes universitaires polonais issus de l’Atelier, pour la plupart des anciens doctorants liés à l’EHESS. Représentant six différents instituts, en « héritiers » de l’Atelier, ils fédèrent dans le « Groupe interdisciplinaire en sciences sociales », créé à cette fin et reconnu par le rectorat, les activités de l’EHESS à l’université de Varsovie et perpétuent le projet d’interdisciplinarité et d’échange critique de ses fondateurs.
Quelques données :
- nombre d’intervenants EHESS : environ cent cinquante ;
- thèmes du séminaire ces trois dernières années : 2007-2008 : « Migrations, diasporas, exils » ; 2008-2009 : « Qu’est-ce qu’une révolution ? » ; 2009-2010 : « Les guerres » ;
- nombre de diplômés de l’EHESS : six (cinq thèses et un DEA) ;- journées d’études : six ; notamment, en 2008, « L’événement 1989 à l’Est, vingt ans d’interprétation » et, prévue en juin 2011, « Écriture et conception de l’histoire dans les musées mémoriaux » ;- projets de recherche : programme de coopération Polonium/CNRS du ministère des Affaires étrangères et européennes ; projets entre l’Institut de la culture polonaise (IKP-UW) et le groupe Anthropologie de l’écriture (IIAC-EHESS/CNRS) : en 2010/2011 : « La matérialité de l’écrit» ; en 2005/2006, « Écritures autobiographiques en France et en Pologne : formes, contraintes, usages, méthodologie de l'étude (XIXe-XXe siècles) ».

À Bucarest (Roumanie)

Responsables : Radu Toma, directeur, université de Bucarest, Jean-Yves Grenier, coordonnateur, EHESS.
Créée en 1993, l’École doctorale en sciences sociales de Bucarest a été dirigée successivement par Zoe Petre (université de Bucarest, 1993-1997), Rose-Marie Lagrave (EHESS, 1997-2003), Dolores Toma (université de Bucarest, 2003-2007). Depuis septembre 2007, la direction est assurée par le professeur Radu Toma (université de Bucarest).

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D. Badoi

Depuis ses origines, en particulier sous l’impulsion de Rose-Marie Lagrave, sa vocation est de former les étudiants à la recherche en sciences sociales. Pour des raisons géographiques évidentes, l’origine des étudiants est d’abord locale (la Roumanie et les pays de la région, en particulier, aujourd’hui, la Moldavie), mais l’École est ouverte à tous les étudiants, en particulier ceux venant d’Europe occidentale désireux de mieux connaître et travailler sur les pays d’Europe centrale et orientale.
L’EDSS est le fruit d’une coopération entre l’université de Bucarest et un certain nombre d’universités partenaires unis par une convention. Les principaux partenaires actuels sont l’Université Libre de Bruxelles, l’université Laval, l’École des hautes études en sciences sociales de Paris, l’université Bordeaux 2 Victor Segalen, l’université Montesquieu Bordeaux 4, l’université Kliment Ohridski, la Nouvelle université bulgare et l’université d’État de Moldova. Le financement est assuré de deux façons : d’un côté, les universités partenaires financent chacune un certain nombre de missions d’enseignement, et d’un autre côté une convention signée entre l’université de Bucarest et l’AUF permet de financer les coûts fixes de l’EDSS.
L’objectif de l’EDSS est de donner à une promotion d’étudiants (entre dix et vingt), déjà détenteurs d’un diplôme de master, une formation d’un an dans les principaux domaines couverts par l’EDSS (anthropologie, sciences politiques, histoire, sociologie). À l’issue de cette année, les étudiants obtiennent une bourse (d’au moins un an) qui leur permet de poursuivre leur parcours de thèse au sein de l’une des universités partenaires. Chaque année, plusieurs étudiants (aux alentours de cinq) venus de l’EDSS viennent ainsi à l’EHESS poursuivre une thèse en cotutelle, en particulier en histoire et en sociologie.
Le destin académique de ces étudiants est très varié, même s’il est le plus souvent marqué du sceau de la réussite. De façon approximative, on peut dire qu’un tiers des étudiants poursuit une carrière dans leur nouveau pays d’accueil, et deux tiers font une carrière universitaire dans leur pays d’origine ou exercent des fonctions à haute responsabilité (certains sont devenus ministres ou ambassadeurs !).
Quatre enseignants de l’EHESS vont chaque année enseigner et faire du tutorat à l’EDSS. Le réseau des anciens EDSS-EHESS est actif et bien fourni. Il permet d’assurer la diffusion et le renouvellement d’une conception des sciences sociales à laquelle nous sommes attachés.