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La Lettre n° 38 | Dans les centres et les services | Disparitions

Claude Lefort

Extrait de la déclaration de François Weil à l’assemblée des enseignants le 27 novembre

De Claude Lefort, disparu le 3 octobre 2010 à 86 ans, nous conservons tous le souvenir de l’analyse de la fragilité et de la fécondité des démocrates qu’il nous donna, il y a 18 mois à peine, à l’occasion de la 31e conférence Marc Bloch qu’il avait accepté de prononcer. Il m’avait dit, à cette occasion, les sentiments contradictoires qu’il avait éprouvés en recevant l’invitation de l’École : la fierté, un certain bonheur, et aussi la crainte de ne pas être à la hauteur de l’occasion. L’ovation qu’il avait reçue au terme de sa conférence l’avait, je crois, rassuré sur ce point.

Claude Lefort avait rejoint l’École en 1975, à 51 ans, auteur d’une œuvre originale et déjà remarquée – je songe à son grand ouvrage sur Machiavel et à l’essai incisif sur mai 68, qu’il publia avec Cornelius Castoriadis et Edgar Morin, quelques semaines après les événements, La brèche. Avant l’École, il avait enseigné au Brésil, à la Sorbonne et à l’université de Caen, et il avait joué un rôle essentiel, avec Castoriadis, dans l’aventure de « Socialisme ou Barbarie », le groupe comme la revue, véritable laboratoire de la pensée critique de la bureaucratie puis du totalitarisme.

Mais c’est bien à l’École, d’abord au sein du Centre d’études transdisciplinaires puis du Centre de recherches politiques Raymond Aron, qu’il écrivit ses maîtres livres sur les tensions entre démocratie et totalitarisme dans nos sociétés contemporaines – L’invention démocratique, les formes de l’histoire, Essais sur la politique, et bien d’autres encore. Je ne reviendrai pas ici sur les analyses fécondes qu’y propose Claude Lefort du projet totalitaire comme tentative d’incorporation holiste du social et de son lien intime avec la démocratie, ni sur les pages célèbres où notre collègue pense la démocratie comme « lieu vide » ouvert aux questions et aux remises en questions.

La pensée de la démocratie et du totalitarisme qui est la nôtre aujourd’hui en France et à l’étranger ne serait pas ce qu’elle est sans l’apport décisif de la pensée critique de Claude Lefort. A l’École, il laisse le souvenir d’un penseur qui savait penser juste, celui aussi d’un homme d’une grande exigence intellectuelle et d’une réelle bonté.