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La Lettre n° 37 | Présentation
Juliette Rennes
Crédits : C. Hache

Juliette Rennes

Élue maître de conférences par l’assemblée des enseignants le 12 juin 2010

Il y a un peu plus de dix ans, j'ai commencé mes recherches au laboratoire Lexicométrie et Textes politiques de l'École normale supérieure de Fontenay/Saint-Cloud où, élève en lettres modernes, je commençais à m'intéresser plus spécifiquement à l'histoire sociale et politique des discours. Travaillant en maîtrise sur les pamphlets d'extrême droite francophones des années 1930, puis en DEA sur la genèse et la diffusion de la notion de préférence nationale dans le débat public français contemporain, je me suis engagée en 2000 dans une thèse de science politique à partir d'une interrogation sur les ressorts et les recompositions de l'anti-égalitarisme depuis la fin du 19e siècle. Dans cette perspective, je me suis alors intéressée à l'évolution des stratégies républicaines pour résister aux demandes féministes d'égal accès aux professions au cours de la Troisième République française. Cependant, pour des raisons méthodologiques, plutôt que de circonscrire l'analyse aux résistances à l'égalité, j'en suis venue à prendre pour objet la structure des oppositions entre les partisans de l'accès des femmes aux professions et leurs opposants, puis à articuler l'analyse de ce conflit à l'émergence des féminismes et à la féminisation du monde professionnel des années 1870 aux années 1930. Cette réorientation m'a conduite à m'appuyer davantage sur des méthodes et des questionnements relevant de la sociologie des controverses, et à explorer, dans diverses archives, le parcours des premières médecins, avocates, ingénieures ou cadres administratifs qui ont ponctué l'histoire de la Troisième République.

Visant, à travers cet objet de recherche, à contribuer à l'analyse des controverses suscitées par des demandes d'égalité en démocratie, j'ai poursuivi, durant la préparation de ce doctorat, une formation plus large en histoire sociale des idées politiques et en analyse de discours. J'ai ainsi effectué en 2004 un séjour de recherche à l'université Mc-Gill à Montréal où j'ai eu la chance de travailler avec Marc Angenot, et j'ai participé à plusieurs contrats de recherche sur la recomposition des discours partisans en France et en Suisse. J'ai également eu l'occasion d'assurer divers enseignements dans ces domaines en tant qu'ATER à l'Institut d'études politiques de Lyon en 2002-2004, puis de contribuer, comme auteure d'articles ou coordinatrice, à plusieurs dossiers de la revue Mots, les langages du politique. À l'issue de la thèse soutenue à Paris I en 2005, j'ai obtenu un poste de maître de conférences à l'Institut de la communication de l'université Lyon 2, où j'ai donné des cours en analyse de discours, en sémiologie des médias et en histoire de la presse.
Parallèlement, comme j'avais appris le russe pendant mes années d'études, je suis entrée en relation avec un réseau de recherche russophone sur le genre. La familiarisation avec ce réseau m'a peu à peu conduite à enseigner dans un master sur le genre d'une université biélorusse en exil à Vilnius puis à collaborer avec des chercheuses biélorusses par exemple dans le cadre d'un dossier de la revue
Raisons politiques sur « le corps présidentiable » (2008/31). Ce double intérêt pour les pays de l'Est et pour les travaux sur le genre m'a également amenée à faire la connaissance de Rose-Marie Lagrave, puis à travailler avec elle et d'autres membres du CEMS dans le cadre  de séminaires et de recherches. J'ai par exemple engagé avec Marc Bessin une recherche sur les conflits suscités par la contestation des discriminations d'âge qui plus tard a donné lieu à un dossier de la revue Mouvements (2009/59). Mes liens avec l'EHESS se sont alors multipliés et approfondis : à partir de 2007, j'ai animé, sur une proposition initiale de Rose-Marie Lagrave et de Liora Israël, un séminaire méthodologique au sein de la mention Sociologie du Master, puis j'ai été invitée dans plusieurs séminaires et colloques pour présenter l'ouvrage tiré de ma thèse (Le mérite et la nature. Une controverse républicaine : l'accès des femmes aux professions de prestige, 1880-1940. Paris, Fayard, 2007).
De nombreux échanges, notamment avec des membres du Centre Maurice Halbwachs, de l'IRIS et de l'Institut Marcel Mauss, la fréquentation des séminaires du GSPM ainsi que la découverte d'autres travaux dans le champ de la sociologie historique de l'État et de la sociologie des mobilisations m'ont confrontée à certains points aveugles de mes travaux antérieurs. Tout en poursuivant des recherches visant à contribuer, à partir de l'étude des conflits d'égalité, à une socio-histoire des régimes argumentatifs en démocratie, j'ai commencé à appréhender autrement la dimension non directement verbale de ces conflits, non plus seulement pour analyser l'émergence ou le « contexte » des controverses, mais aussi leur déroulement et leur carrière. Étudiant, dans cette perspective, à la fois les conflits contemporains suscités par les demandes d'égalité juridique des couples de même sexe, et ceux portant sur le statut des étrangers résidant en Europe, j'essaye à présent d'expliciter les questions méthodologiques posées par ces recherches et par d'autres travaux sur des controverses et des mobilisations. Le séminaire que je commence cette année à l'EHESS sur « Discours, argumentation, acteurs sociaux » portera notamment sur les modalités d'articulation possibles entre sociologie des mobilisations et théories de l'argumentation, et sur la façon dont on peut appréhender l'hétérogénéité entre la temporalité longue des répertoires d'actions et d'arguments, et celle plus courte des acteurs sociaux qui les expérimentent et les reconfigurent dans des situations inédites. En parallèle et en relation avec ces questions méthodologiques, mon enquête en cours sur les conflits d'égalité contemporains me rapproche des domaines de la spécialité Genre, Politique et sexualités du master de l'EHESS. Assurant, avec Rose-Marie Lagrave et Éric Fassin, la co-responsabilité pédagogique de ce master depuis octobre 2010, je donnerai également cette année un séminaire de sociologie au Collège universitaire français de Moscou sur le thème « Genre, pouvoirs, citoyenneté et politique ».