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La Lettre n° 27 | Réflexion sur...
Alain Trannoy
par Alain Trannoy
Chargé de mission

Comment rester l’École en région ? L’exemple du pôle de Marseille

Trente ans après la décision de l’École de créer des pôles régionaux, décliner l’esprit et les valeurs de l’École représente toujours un défi face aux transformations du paysage universitaire et de la recherche. Face à l’ancrage territorial des universités, l’esprit national de l’École peut-il survivre ? Le pôle marseillais de l’École des hautes études en sciences sociales, se nourrit de nombreux projets et collaborations scientifiques entre ses laboratoires et aborde la deuxième décennie du siècle avec de nouvelles perspectives.

Implanté à la Vieille-Charité depuis 1982, à la suite d’un accord signé entre Jacques Le Goff, président de l’École et Gaston Defferre, maire de Marseille, au cœur du plus ancien quartier de la ville, le pôle marseillais de l’École a, du fait de sa croissance, élargi son implantation à l’un des sites de l’université de Provence, le campus Saint-Charles. On y trouve désormais le Cléo (Centre pour l’édition électronique ouverte) et le Credo (Centre de recherche et de documentation sur l’Océanie) tandis que les historiens, sociologues, anthropologues du Centre Norbert Elias (anciennement Shadyc) et économistes (Greqam, Groupement de recherche en économie d’Aix-Marseille et Idep, Institut d’économie publique) se partagent les locaux de la Vieille-Charité et y font vivre des initiatives communes toujours plus nombreuses.

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La Vieille charité

La formation doctorale de sciences sociales dispensée par l’EHESS à Marseille a pour vocation de former à la recherche en sciences sociales autour d’un noyau tridisciplinaire (anthropologie, histoire, sociologie). Le Greqam a, quant à lui, créé deux masters : le master Ingénierie économique et financière (IEF, qui comprend 4 options, Économie publique, Économie internationale, croissance et développement, Économétrie, Finance) et le master Philosophie économique – Comportements et interactions. Les cours, enseignés pour partie en anglais, sont dispensés par des chercheurs participant activement à la production de nouvelles connaissances en économie et économétrie, théoriques et appliquées.

Le pôle maintient l’esprit de l’École en cultivant les passerelles entre les disciplines, en diversifiant l’offre proposée à l’ensemble des laboratoires en sciences sociales en matière d’édition (papier et électronique) et en pratiquant une large ouverture à la société.

Le renforcement des échanges scientifiques entre disciplines des sciences sociales

La mise en place de séminaires associant sociologues, anthropologues, historiens et économistes permet de nourrir échanges scientifiques et questions épistémologiques. Les liens entre les praticiens des trois premières disciplines existent déjà au sein du Shadyc. Il restait à y adjoindre la collaboration avec les économistes. Deux séminaires cette année reprennent cette tradition instituée par Jean-Claude Passeron et Louis-André Gérard-Varet, respectivement directeur des laboratoires de sociologie et d’économie de la Vieille-Charité dans les années 1990.

Le séminaire Marché/Marchés privilégie une approche interdisciplinaire des économies. « L'idée est de créer un espace de confrontation et de dialogue entre des chercheurs ayant analysé des situations d'ordre économique, avec des outils divers et à partir de regards disciplinaires différents. » notent ses animateurs précisant que le marché est traité en tant qu’institution concrète, plutôt que sous la forme d’une entité abstraite, choix qui est souvent reproché aux économistes. Les anthropologues, sociologues ou historiens privilégient, quant à eux, l’étude des lieux et des pratiques de marché, sans nécessairement le formaliser.

Le séminaire « Causalité en sciences sociales » constitue un point de rencontre où des spécialistes des différentes sciences sociales peuvent faire partager l'approche de la causalité propre à leur discipline. Des points de convergence ou des champs d'application nouveaux pourraient apparaître et donner naissance à de possibles recherches. Parmi les thèmes de l’année universitaire en cours, on retrouve « Causalité et temps », « Causalité et expérience », « Causalité et interaction », « Causalité et justice ».

Une politique éditoriale diversifiée

Les laboratoires du pôle marseillais de l’École ont toujours eu le souci de prolonger la recherche dans leur discipline. Le Bulletin de l’APAD (Association euro-africaine pour l’anthropologie du changement social et du développement) qui a publié 28 numéros depuis 1991 devient Revue européenne d’anthropologie du développement. La collection Enquête privilégie la confrontation entre histoire, sociologie et anthropologie, en réfléchissant aux partages disciplinaires, aux procédures et aux modes d’argumentation, ainsi qu’aux différents fronts où se recomposent les objets du savoir et les modèles interprétatifs. Techniques & culture, revue semestrielle d’anthropologie, s’intéresse en particulier à l’ethnologie des techniques, aux techniques comme productions sociales au cœur des rapports entre les sociétés et leur environnement. La revue est publiée en support papier et en revue électronique (http://tc.revues.org/). Du côté de l’économie, la revue à comité de lecture Économie publique-Public Economics a opéré ce double choix depuis plusieurs années. Publiant des articles en français ou en anglais, elle favorise l’accès libre et intégral à l’ensemble des articles qu’elle publie (http://www.economiepublique.fr).

Édition électronique

La réflexion sur l’usage de l’édition électronique a été favorisée par la présence du Cléo. Le Centre pour l’édition électronique ouverte développe Revues.org, plus ancien portail de revues en Sciences humaines et sociales en France, qui diffuse plus de deux cents revues. Il publie également Calenda, le calendrier des sciences sociales et Hypothèses, plateforme de carnets de recherche. Pour suivre son actualité, vous pouvez vous abonner à la Lettre électronique de Revues.org mais aussi suivre L'édition électronique ouverte, le blog de l'équipe de Revues.org.

Diffusion et culture scientifique

Les médias ontsouvent recours aux « spécialistes des sciences sociales » mais pour autant les sciences humaines et sociales demeurent trop souvent méconnues. Établissant ce constat, les laboratoires de la Vieille-Charité ont souhaité mettre en place un cycle de conférences qui aborde aujourd’hui sa troisième saison. Intitulé À l’école des sciences sociales, le cycle a lieu chaque mois à la grande bibliothèque de Marseille, l’Alcazar, qui en est partenaire. Le cycle bénéficie du soutien du Conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur et a été l’occasion de développer un partenariat original avec un magazine de la métropole marseillaise Marseille L’Hebdo (tirage 20 000 ex.). À l’occasion de chaque conférence, une tribune pleine page, spécifique à ce cycle, est offerte au conférencier afin de présenter la thèse de sa communication. Chaque séance réunit entre 50 et 130 auditeurs.

Privilégier le rapport sciences-société

L’inscription de la recherche dans son environnement est une préoccupation constante du pôle marseillais de l’École. À titre d’exemple, l’Idep organise tous les deux ans depuis 2006 des enquêtes expérimentales réunissant un public le plus large dans l’hémicycle du Conseil régional. La première consacrée à la pollution de l’air a réuni plus de 600 participants recrutés par voie de presse. La seconde a limité le public à quatre sessions (soit plus de 450 participants) et eu pour objet la révélation des préférences du public en matière d’égalité des chances. Plusieurs scénarios sont proposés au public qui a recours au système de vote électronique utilisé par les élus de la Région.

Collaborations École-Universités

Le pôle marseillais inscrit son action dans le cadre des collaborations avec les différentes universités de l’académie d’Aix-Marseille : l’université de Provence pour le Credo, la même université et celle d’Avignon pour le Centre Norbert Elias ou le Cléo, l’université de la Méditerranée et l’université Paul Cézanne pour le Greqam et l’Idep.

À titre d’exemple, la Chaire d’économie publique et de développement durable créée en mai 2009 au sein de la Fondation Santé, sport et développement durable mise en place par l’université de la Méditerranée, a pour objectif de promouvoir la recherche et l’insertion des étudiants grâce à des rapprochements avec le monde socio-économique. Elle privilégie la recherche au sein de quatre axes : l’instabilité des marchés, l’eau et le développement durable, les inégalités économiques et l’intervention publique. Certains thèmes tels que l’économie de l’eau et la Méditerranée permettent d’entrevoir des approches pluridisciplinaires. En outre, la Chaire accueillera dès 2010 des professeurs étrangers pour des périodes d’un an sur l’un des thèmes de la Chaire.

À l’horizon 2013, une nouvelle implantation du pôle marseillais de l’École est prévue près de la gare Saint-Charles, au sein de l’espace Euroméditerranée, le nouveau poumon économique de la ville. Le projet est activement soutenu par la mairie : après le choix d’un maître d’ouvrage, le concours des maîtres d’œuvre a recueilli plus de 70 dossiers parmi lesquels cinq ont été retenus. Il reste à choisir le finaliste pour associer dans un même rythme la nouvelle implantation locale de l’École et la capitale européenne de la culture.

La contradiction entre l’esprit de l’École, établissement national indépendant de son environnement immédiat et l’ancrage territorial des universités partenaires constitue le quotidien du pôle. Avec la loi LRU, nous assistons à un affaiblissement de la logique nationale de la recherche pour privilégier le développement de perspectives locales. La géographie y prend toute son importance et le défi des acteurs de l’École en région est sans cesse renouvelé.