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La Lettre n° 36 | Présentation
Silvia Sebastiani
Crédits : A.A.

Silvia Sebastiani

Élue maître de conférences par l’assemblée des enseignants le 12 juin 2010

Lorsque j’ai décidé de me porter candidate pour une bourse post-doctorale Marie-Curie, je souhaitais trouver les moyens matériels et intellectuels de poursuivre ma recherche, tout en cherchant à l’inscrire en France, pays de grande tradition d’études sur mes thèmes mais qui était resté marginal dans ma formation. Historienne des Lumières, ma spécialisation sur l’Écosse m’avait plutôt conduite à concentrer mes séjours de recherche et ma quête d’interlocuteurs outre-manche et outre-Atlantique (à Londres, Oxford, Edinburgh, Aberdeen et aux États-Unis), ainsi qu’en Allemagne (Göttingen, en particulier) et en Italie, entre Florence et Turin (à la Fondazione Luigi Firpo, notamment). C’est de la lecture des œuvres de Franco Venturi et de Giuliano Gliozzi qu’était né mon intérêt pour les Lumières, et que s’étaient construites les questions principales au cœur de ma thèse – soutenue auprès de l’Institut universitaire européen en 2003, sous la direction de John Brewer et de John Roberston. Le livre tiré de cette première recherche, publié en 2008 sous le titre I limiti del progresso. Razza e genere nell’Illuminismo scozzese (Il Mulino), place au cœur de son analyse les tensions dont le concept ambigu de « progrès » a été porteur au moment où se développait l’écriture d’une histoire universelle. Tensions entre des catégories, que les opérations intellectuelles cherchant à (d)écrire l’histoire de l’humanité, avaient le plus souvent associées, à celles de « race » et de « genre ».

Le projet de ma bourse postdoctorale était de mener l’étude comparée des histoires d’Amérique des années 1770-80, produites par deux voix : l’une européenne, par l’historiographe écossais de l’empire britannique et leader de l’église presbytérienne, William Robertson ; l’autre créole, par le jésuite Créole mexicain exilé en Italie Francisco Xavier Clavijero. Leur confrontation est l’occasion d’examiner le modèle universaliste des Lumières, à l’épreuve d’une autre écriture de l’histoire. Elle me permet d’analyser les circulations, européennes et atlantiques, parallèles et croisées de ces deux modèles d’écriture, faisant ainsi apparaître les histoires américaines comme le laboratoire d’une historiographie alternative.
J’ai pu commencer à développer ce projet à l’EHESS auprès du CRH, non seulement à travers une activité de recherche personnelle, mais aussi à travers un séminaire que j’ai co-dirigé pendant deux ans avec Jean-Frédéric Schaub. Intitulé Expériences de l’altérité et idéologies de la race à l’âge moderne, il m’a permis de présenter mes dossiers, ainsi que d’élargir mes horizons d’analyse. La rencontre avec des collègues d’autres centres de recherches et d’autres institutions parisiennes, les discussions dans le cadre du PRI « Îles britanniques » ont été autant d’autres opportunités qui m’ont permis de nourrir le projet que j’ai soumis à l’appui de ma candidature sur un poste de maître de conférences : L’Atlantique des Lumières. Race, genre, histoire.
Un premier axe de travail – Écritures de l’histoire et critiques de l’eurocentrisme aux temps des révolutions – envisage d’analyser l’engagement des voix américaines dans le processus d’écriture de leur propre histoire, notamment dans la période comprise entre la Guerre de Sept Ans et les Indépendances américaines. Il s’agit de comprendre comment elles ont aussi été une réaction aux histoires universalistes produites par les Lumières européennes et une tentative pour en inverser le point de vue. Le second volet de la recherche – Étude des variétés humaines au prisme du discours racial : un débat transatlantique – interroge plus spécifiquement la place et la fonction du discours sur la « race » qui, en passant de l’histoire à la « science de l’homme », se développe dans le contexte particulier de l’Indépendance des États-Unis et de la construction de la « nation » américaine. J’entends y analyser le rapport dialectique entre « race » et « progrès », au prisme du rôle joué par les femmes et à travers la capacité qu’on leur prête de « civiliser » et de « modeler » l’humanité. Le discours de genre produit autant de marqueurs à partir desquels les Lumières construisent les « races ». La dimension atlantique de mon projet révèle l’ambivalence des usages et représentations de la féminité entre les différents groupes humains, ambivalence sur laquelle se cristallise notamment l’autocritique des Lumières.
Ces questions seront notamment au cœur du séminaire que je poursuis avec J.-F. Schaub et Silvia Falconieri, post-doctorante à l’EHESS, sur « Expériences de l’altérité, idéologies et pratiques juridiques de la race aux époques moderne et contemporain ». À travers ce séminaire et mes recherches personnelles et collectives, je souhaite construire un lien entre les deux côtes de l’Atlantique ainsi qu’entre Amérique anglophone et Amérique hispanique. Enfin, ma recherche s’inscrit dans la réflexion en cours sur l’écriture de l’histoire et l’histoire de l’historiographie telle qu’elle a été mise en œuvre à partir de l’historiographie européenne : de nouveaux agendas de la recherche en sciences sociales invitent à la repenser dans une perspective globale, à mettre en dialogue avec d’autres récits du temps et constructions de la temporalité.