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La Lettre n° 35 | Dans les centres et les services | Disparitions
Jean-Paul Hébert
Crédits : Famille Hébert
par Patrick Fridenson

Jean-Paul Hébert

Jean-Paul Hébert avait beaucoup de vies, et il les faisait toutes tenir ensemble jusqu'a ce qu'une maladie foudroyante en coupe les fils. C'était un spécialiste mondialement reconnu de l'économie internationale de l'industrie de l'armement, et il venait de co-diriger avec Pierre Pascallon un livre sur ce sujet (La politique industrielle d'armement et de défense de la Ve République). Ses multiples travaux dans ce domaine continueront à faire référence. Les hauts et les bas des marchands d'armes et de leurs principaux clients les États étaient sa spécialité, la place longtemps forte de la France dans ce secteur très concurrentiel aussi par conséquent. Il était donc un des animateurs du CIRPES, ce centre fondé par Alain Joxe, et de sa revue Le Débat stratégique. Mais les militaires, les industriels et les journalistes savaient pourtant qu'il n'y avait pas plus pacifiste que lui. Dans sa deuxième vie J.-P. Hébert était en effet militant de longue date. Militant politique : il avait été secrétaire fédéral du PSU pour la Seine-Maritime, et était encore membre du Conseil des Amis de Tribune Socialiste. Il était ensuite passé chez les Alternatifs Verts et Rouges, et sa voix de la gauche de la gauche s'y faisait entendre avec force à chaque élection mais surtout à chaque action. Militant associatif : le même Jean-Paul était devenu jusqu'il y a peu le secrétaire général adjoint de la Ligue des droits de l'homme. Militant de la littérature pour la jeunesse : il enchaînait avec talent les romans pour les enfants sous le pseudonyme ironique d'Hector Hugo. Militant de la mer : avec sa femme Élisabeth, la navigation au long cours était une de ses passions. Militant encore du chant : il animait une chorale, qui alternait les chansons d'un très vaste répertoire, des chansons militantes et même des chansons écrites par lui. Il était au fond partout, et partout le même, avec humour, avec entrain, avec ardeur, avec passion. Les années avaient beau passer, Jean-Paul Hébert avait gardé ses convictions, et il n'était pas question de baisser pavillon.
À l'EHESS, Jean-Paul Hébert était ingénieur de recherche, et titulaire d'une HDR. Il ne se contentait pas d'écrire et de colloquer, il enseignait (comme il avait enseigné, dans une vie antérieure, dans un lycée), avec plaisir, avec combativité. Son séminaire, tenu dans la trémie du Centre Chine, était fort apprécié des étudiants. Cet homme du collectif militait aussi à l'École. Il était un des piliers de la section du SGEN-CFDT. Un de ceux, au moment des grèves de 1995 sur la protection sociale, qui avaient fait que la CFDT ne disparaisse pas de l'École, bien qu'il contestât totalement les positions de la direction de la confédération. Il restait une voix très écoutée dans le personnel dans tous les moments graves, ainsi lors de l'occupation du 105 en 2006. Il était du côté de la critique sociale de tous les pouvoirs et en même temps de la volonté d'obtenir des changements dès aujourd'hui. À ce titre il avait été élu BIATOSS au conseil scientifique de 2000 à 2004, élu sur la plate-forme intersyndicale. Depuis 2004 il était membre, au titre du SGEN-CFDT, de la nouvelle instance qu'est le comité technique paritaire central d'établissement (CTPCE), et souvent celui qui, lors des suspensions de séance précédant les votes, trouvait l'axe de la position définitive commune aux différents représentants du personnel. Il aimait bien l'École et il la critiquait bien.
La célèbre phrase sur la critique des armes et les armes de la critique était sans doute faite pour lui. Elle ne dit simplement pas deux traits sur lesquels je veux conclure : Jean-Paul ne ménageait jamais sa peine, ni dans sa vie de recherche ni dans toutes ses autres vies, et il avait en toute circonstance une grande gaîté. Il manquera à la communauté scientifique internationale. Il manquera beaucoup aussi à toutes les autres communautés dont il était partie prenante.