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La Lettre n° 75 | Échos de la recherche
Histoire et Anthropologie du vivant (XIe-XVIe siècle)
par Pierre-Olivier Dittmar

Histoire et Anthropologie du vivant (XIe-XVIe siècle)

Pierre-Olivier Dittmar a été élu maîtres de conférence à l'EHESS par l’assemblée des enseignants en juin 2014.

Pierre-Olivier Dittmar a suivi une formation d’historien, d’historien de l’art et d’anthropologue. Ses travaux portent sur les interfaces avec les non-humains au cours d’un long Moyen Âge, qu’il s’agisse des animaux, des invisibles, ou des artefacts dans les sociétés pré-industrielles.

Que signifie « co-habiter » avec différentes formes de vie, dans les mêmes territoires, dans les mêmes maisons ? Quelles relations tissons-nous avec les animaux, mais aussi les invisibles ou encore les images qui constituent notre milieu ? Quel rôle ces formes d’existence jouent-elles au sein des différents groupes sociaux ? Ces questions historiques, qui engagent une réflexion nécessaire pour l’intelligence politique de nos environnements, se trouve au coeur de son projet de recherche et d’enseignement.

L’Occident médiéval, qui donne naissance au concept d’Animal dans son sens moderne, constitue une étape décisive dans l’établissement d’une « exception humaine », d’une coupure entre l’homme et ce qui devient un « environnement ». Cependant, cette période relève aussi d'une « ontologie analogiste » qui ignore la séparation entre Nature et Culture, où l’homme se pense au sein d’un réseau d’interactions permanentes avec les autres « existants ». Pour comprendre cette tension décisive dans l’histoire du rapport au monde, Pierre-Olivier Dittmar se propose d'étudier les conceptions des différentes formes de vie, leurs interactions et leurs interfaces, en distinguant et en articulant deux univers de co-habitation stratégiques : l’espace sacré et l’espace domestique.

Formes de vie

Quelles sont les limites du vivant médiéval ? Tout porte à croire qu’il dépasse largement celles que lui assigne la biologie contemporaine ! Cette catégorie sera travaillée en incluant non seulement l’ensemble des êtres dotés d’une âme (les animaux et les végétaux), mais aussi les esprits (anges, démons), et enfin certains artefacts très particuliers (les images de culte notamment) auxquels on attribue une force (virtus), une capacité à agir. Il s’agira, dans ce dernier cas, de saisir par quels procédés techniques on confère une forme de vie à certains objets ou à certaines images, comment, en somme, on fabrique du vivant.

L’ensemble de ces « existants », avec lesquels l’homme tisse des relations, constituent bien plus qu’un simple environnement. Il s’agit désormais d’historiciser ces rapports au monde, en tenant compte aussi bien des pratiques qualifiées de « superstitions » par les clercs que des sources théologiques les plus spéculatives. Prendre en compte cette dimension sociale du vivant impose de rompre avec l’approche symbolique et descriptive qui a longtemps prévalu tant à l’égard des images que du monde animal. Un travail qui sera mené au sein d’un dialogue resserré avec des archéologues, des historiens de l’art, des philosophes, des anthropologues, des ethologues, dans une démarche résolument comparatiste.

L’enquête qu’il a mené avec J. Baschet et J. Claude Bonne dans Le monde roman par-delà le Bien et le Mal a montré comment les images au sein des lieux de culte articulaient différentes conceptions du vivant ; il poursuivra ce travail en analysant l’implication des animaux et des végétaux dans le cadre rituel avec un regard ni anthropocentrique (qui tiendrait ces pratiques pour négligeables) ni folklorisant (qui postulerait l’autonomie d’une prétendue religion populaire). Une attention particulière sera accordée à l’historisation de ces pratiques du XIe siècle jusqu’au Concile de Trente.

Domestication de l'image

Entre le XIe et le XVIe siècle, le cadre de vie des hommes de l’Europe chrétienne est profondément bouleversé par la diffusion de l’image, non seulement dans l’espace sacré mais aussi dans l’espace domestique. Ce dernier phénomène n’a jamais été analysé de façon globale. Les récentes découvertes des plafonds peints médiévaux ont permis de mettre en évidence la saturation visuelle des intérieurs domestiques à la fin du Moyen Âge, bien au-delà du seul milieu aristocratique. L’objectif est de cartographier ce phénomène en partant de l’arc méditerranéen (Espagne, France, Italie), grâce à un réseau international de chercheurs en cours de constitution ; de mesurer les effets sociaux et individuels induits par une cohabitation quotidienne avec de très nombreuses d’images.