Navigation – Plan du site
La Lettre n° 75 | Échos de la recherche
Histoire et récits du travail
par Dinah Ribard

Histoire et récits du travail

Dinah Ribard a été élue directrice d'études à l'EHESS par l’assemblée des enseignants en juin 2014.

Ma recherche porte sur la connaissance du travail. Histoire et récits : je n’oppose pas les deux termes, ni ne prétends combiner une étude des discours, des représentations, ou de l’expérience du travail à celle de ses évolutions. Je m’intéresse aux sources diverses qu’ont produites entre époque moderne et début de l’époque contemporaine des faits de travail précis, discontinus, locaux, des événements, des situations, des configurations anciennes. Un exemple : dans une collection de copies manuscrites d’actes et documents divers concernant les métiers, les pauvres, l’approvisionnement, bref ce qu’on appelait la police au XVIIIe siècle, on peut trouver, en annotation d’un de ces documents, un bref historique des efforts d’un groupe de maîtres de métier pour trouver – pour faire forger – les pièces juridiques susceptibles de donner à leur activité professionnelle un passé qui leur convienne. La source normative ainsi annotée, un statut de métier, en devient incertaine : authentique règlement professionnel ou faux habilement rédigé, ou vraie pièce délibérément qualifiée de faux, pour une raison ou pour une autre ? Le geste historiographique, le commentaire critique, le travail d’archivage l’ajustent en tout cas à l’histoire de l’investissement du pouvoir politique dans la transformation du travail en France à l’époque moderne. La collection en question, en effet, a été constituée pour une famille de grands magistrats, ministres et serviteurs de l’Etat. Elle s’offre au chercheur dans un dépôt public. D’autres sources pourtant bien plus bavardes, pourtant lisibles dans des livres publiés et mêmes republiés plusieurs fois, n’ont pourtant jamais rejoint l’histoire du travail. C’est le cas des productions poétiques des bourgeoisies urbaines, ou des débats menés entre moines sur le travail intellectuel, ou de la réflexion philosophique sur la couleur dans laquelle peintres et teinturiers se sont croisés.

J’essaie de comprendre la transmission du sens qu’avaient des actes de travail passés. La question de l’écriture est centrale dans une telle recherche : ce qui se pense par écrit, ce qui se fait et ne se fait pas par écrit, et ce qui arrive aux écrits une fois qu’ils existent.